A la Une, ONG, "Sonneurs d'alerte", etc., Veille sociétale

Les salades de Générations Futures (suite) : vous avez dit « perturbateurs endocriniens » ?

24 sept. 2015

L’opération médiatique de Générations Futures (GF) que nous signalions avant-hier (voir ici) a été reprise par les médias et réseaux sociaux, la plupart du temps sans aucun recul, mais pas toujours.
Puisque GF en fait le centre de son attaque médiatique, un point sur la notion de perturbation endocrinienne s’impose

Le pseudo #saladegate dans les médias. Et quelques réactions…

Quelques exemples qui suivent le troupeau pratiquement sans aucun recul : Ma planète (blog lié à Sud-Ouest), La Tribune, RFI.

Sous le titre « Générations futures constate la présence de certains phytos interdits », La France Agricole donne la parole à F Veillerette, porte-parole de GF, qui parle de la présence de traces non quantifiables de trois pesticides comme de « situations illégales ». En fait, il s’agit soit de contaminations croisées, soit, plus probablement, de traces de traitements au stade semences ou plants, parfaitement légaux en Espagne, Pays-Bas, etc. Et l’importation et utilisation de ces plants et/ou semences est parfaitement légale. Il faut de plus rappeler, une nouvelle fois, que ces « traces » n’ont aucune signification toxicologique.

Public Sénat a donné la parole à Xavier Beulin, président de la FNSEA[1], qui pointe l’Espagne du doigt. Sur ce point, l’Espagne n’est pourtant pas le problème. En tous cas sûrement pas le problème principal. Le problème, ce sont les salades racontées par Générations Futures : son dossier est vide, les résidus de « pesticides interdits » sont à l’état de traces sans aucune signification. Leur discours ne tient que parce que les laboratoires arrivent maintenant à trouver des pouièmes de pouièmes de n’importe quelle substance…

Sous le titre « Pesticides interdits sur les salades : «Plusieurs scénarios sont possibles », Le Figaro interviewe Jean-Pierre Cravédi, INRA, qui donne des explications en bonne partie utiles et vraies, mais pour certaines confuses. Il explique la présence de traces de pesticides interdits (autre que le DDT) par « soit […] une utilisation inappropriée de ces produits, qui restent autorisés en France pour d’autres types de culture, par le producteur, soit […] une contamination accidentelle après le traitement d’un autre champ ». Il oublie l’hypothèse la plus probable : l’utilisation en toute légalité, au stade semences ou plants dans un autre pays de l’Union Européenne.
A propos de l’effet cocktail utilisé par GF pour instiller la peur, JP Cravédi souligne que « les expériences réalisées jusqu’à présent montrent qu’elle est rare. Par ailleurs, la démultiplication de la toxicité observé est modérée »

L’UIPP (firmes phytosanitaires) a titré « Arrêtons les salades… On ne s’empoisonne pas en mangeant des fruits et légumes ». Leur conclusion pointe indirectement la responsabilité des médias : « S’il est légitime que les ONG jouent leur rôle sociétal de lanceurs d’alerte, il reste nécessaire d’accueillir leurs publications avec un minimum d’objectivité et de rigueur scientifique. »

L’opération de GF a également fait l’objet d’une discussion intéressante dans le groupe Zététique sur Facebook. Mentionnons pour sourire (mais la remarque est sérieuse) : « François Veillerette est allé fêter sa nouvelle victoire médiatique en allant prendre une bière (isoflavonoïdes) et des cacahuètes (isoflavones et mycotoxines). L’effet « cocktail » fut détonnant ! »

Mise à jour du 24/09/2015 à 14h: Sous le titre « Salades : consommer des pesticides ou enlever les pucerons ?« , L’Humanité rend compte de l’étude de GF de façon assez critique, en particulier du fait de la non-représentativité de 31 salades et du bruit exagéré fait dans la presse. L’Humanité, « sans prendre fait et cause pour le collectif « Sauvons les fruits et légumes » », souligne que la grande distribution en exigeant des fruits et légumes parfaits, zéro défaut, a une part de responsabilité dans l’utilisation des pesticides : « Une palette de laitue ou de toute autre salade peut être renvoyée au maraîcher qui l’a produite si le chef de rayon de la grande surface découvre quelques pucerons dans deux ou trois laitues. Pour éviter cette coûteuse mésaventure, le producteur est incité à forcer sur les traitements chimiques. »

Mise à jour du 25/09/2015 : Sous le titre « Nos salades sont-elles polluées par des pesticides ?« , Sciences et Avenir interviewe Bernard Jegou, INSERM, qui souligne d’une part que « l’important » est que les Limites Maximales Autorisées ne sont pas dépassées, d’autre part que, certes « on manque de données » concernant l’effet dit cocktail, mais que « depuis plusieurs années, on constate que le taux de pesticides mesuré dans les aliments diminue, ce qui est encourageant« . La non-représentativité des échantillons prélevés par GF est également dénoncée comme étant une faiblesse ; Alors qu’il existe des plans de surveillance des autorités (EFSA, DGCCRF), bien plus fiables.

Face à une telle confusion médiatique, les pouvoirs publics, particulièrement ministère de l’agriculture et ANSES[2], devraient au moins rappeler comment sont les règles sont établies et leur application contrôlée, pourquoi des « traces » n’ont aucune signification ni agronomique ni concernant la sécurité, en quoi la population française et européenne est la mieux protégée. Mais non : ils font preuve d’un silence assourdissant. C’est irresponsable.

A propos des perturbateurs endocriniens

Dans l’enquête de GF, il n’y a pas de dépassement de LMR. Et qu’importent les dégâts sur les producteurs de Fruits et Légumes ou sur la santé des consommateurs qu’il décourage de se nourrir d’aliments sains : Le but de GF est de peser sur le débat réglementaire européen concernant les perturbateurs endocriniens (PE). Tout l’argumentaire de GF pourrait se résumer à : « Les LMR, la réglementation et les pratiques des producteurs ne protègent pas des PE. Il faut bannir tous les PE quelle que soit la dose, même la « trace » la plus infime »

Il faut souligner que GF n’évoque jamais les PE naturels ni les médicaments PE. Il utilise, pour les seules substances synthétiques, une définition de la perturbation endocrinienne beaucoup plus large que ce qui est admis au niveau international par l’OMS[3]. Au moindre soupçon d’un possible effet, même faible, même non délétère, si la substance est synthétique, GF considère que c’est un PE. Mais GF est complètement laxiste concernant les substances naturelles (huile de neem, caféine, alcool, soja…).

1509PE-PesticidesEtAutres

Or, s’il est logique de prendre des précautions et de protéger agriculteurs et consommateurs contre la perturbation endocrinienne, il est vital de le faire sur des bases scientifiques, rationnelles et non pas dictées par des considérations idéologiques qui pourraient se révéler contre-productives.
Premièrement, on devrait réserver le terme de perturbation endocrinienne à une perturbation délétère et permanente. Pas à une perturbation temporaire ou sans conséquence pour la santé.
Deuxièmement, l’analyse du risque de perturbation endocrinienne doit prendre en compte à la fois le niveau d’exposition et la puissance perturbatrice de la substance. Dans ce tableau (en français, in English), on voit que les pesticides aujourd’hui autorisés dans l’UE (inscription à l’annexe1) sont globalement peu problématiques. Le régulateur devra bien sûr examiner chaque cas. Mais il devrait raison garder…
Le débat sur les PE est aujourd’hui empoisonné par la dimension politique et idéologique introduite par les environnementalistes. Il faut revenir à des décisions basée sur la science.

Pour aller plus loin sur la perturbation endocrinienne :
– « Perturbateurs Endocriniens : fait ou légende urbaine », traduction résumée par ForumPhyto d’une synthèse scientifique (in English) parue dans Toxicology Letters)
– « Perturbateurs endocriniens : les pesticides et les autres » (en français, in English), schéma élaboré par ForumPhyto, compilant plusieurs sources scientifiques et comparant les expositions et les pouvoirs endocriniens de différentes substances.
– « Perturbateurs endocriniens et pesticides : un écran de fumée ? » (Agriculture et Environnement)

[1] Syndicat agricole majoritaire

[2] Agence Française de Sécurité Sanitaire

[3] Organisation Mondiale de la Santé