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Les agriculteurs sont-ils drogués aux phytos et incapables de changer ?

10 juil. 2012

Telle pourrait être la question en lisant de récents articles de presse. La consommation de produits phytos est restée quasiment stable en 2011, alors que les conditions climatiques étaient favorables aux bio-agresseurs. Pour F Veillerette, Générations Futures, si la consommation des pesticides ne diminue pas, la faute en est au « lobby des pesticides », au « manque total de volonté politique » et à « l’immobilisme de la profession ». Qu’en est-il ?

 

La consommation des pesticides en France : une baisse tendancielle lourde

 

83 000 T en 2002, 62 000 T en 2010 : tels sont les chiffres publiés par l’UIPP (firmes phytopharmaceutiques).

Entre 2010 et 2011, on devrait parler d’une quasi-stabilité globale : + 1.29 % en en volume, alors que l’année 2011 a été favorable aux bio-agresseurs. Le Journal de l’Environnement (JDLE), rapportant les propos de JC Bocquet, directeur de l’UIPP,  indique qu’en valeur, le marché français a augmenté de 5% contre 15% pour l’ensemble de l’UE.

Lire le communiqué de presse et le rapport de l’UIPP (5MO)  qui ont servi de base aux différents articles.

 

Certains environnementalistes ont une vision simpliste de l’agriculture

Mais pour certains mouvements environnementalistes, la cause est entendue : les agriculteurs sont rétifs à tout changement.

Après avoir permis à l’UIPP d’exposer des faits, le Journal de l’Environnement (JDLE), sous le titre « Les pesticides, ça commence à bien faire ! », laisse place, sans aucun recul critique, au commentaire de F Veillerette, président de l’association Générations Futures, « connue pour avoir pris la défense des agriculteurs victimes des produits phytosanitaires ». Celui-ci stigmatise le lobby des pesticides, le manque de volonté politique et l’immobilisme de la profession.

F Veillerette est cependant contraint d’admettre : « Le lobby des pesticides, représenté par l’UIPP, met en cause les conditions météorologiques. C’était déjà le cas en 2007, ce sera très certainement encore le cas en 2012. Les conditions météorologiques font partie des facteurs à prendre en compte et seront toujours fluctuantes au gré des années ».
Il commet d’ailleurs une erreur : l’année à mildiou, qui a entraîné une hausse de l’utilisation des phytos, c’est en 2008, et non pas en 2007… une faute de taille pour l’expert qu’il prétend être.

 

Actu-environnement, dans « des pistes pour réduire l’utilisation des produits phytosanitaires », commente la publication par l’INRA de « résultats après des années d’expérimentation sur un nouveau mode de production bâti sur une réduction de l’utilisation d’intrants chimiques » : « Certains producteurs ne peuvent pas se passer de la plupart des intrants chimiques à cause de conditions de sol ou de climat difficiles. Pour d’autres, c’est avant tout une barrière psychologique qui les freine pour revoir leurs pratiques agricoles. (…). Il semble qu’aller chercher un peu dans les recettes du passé peut apporter des pistes pour les techniques culturales de demain. Rémy Lestang (Chambre d’Agriculture de Dordogne, note de ForumPhyto) pointe un manque de connaissance des écosystèmes chez les producteurs et les techniciens. Selon lui, il faut arrêter de paniquer dès que trois pucerons apparaissent sur une plante et laisser voir venir les coccinelles. De même, certaines « mauvaises herbes » s’avèrent être parfois des terres d’accueil pour des auxiliaires, « nous pouvons compter sur la biodiversité pour nous aider à contrôler les parasites ». »

 

Croit-on vraiment que, hors des « conditions de sol ou de climat difficiles », la nature est bonne et les bio-agresseurs absents ?
Croit-on vraiment que c’est d’un retour « un peu dans les recettes du passé » dont la société a besoin ?
Prend-on les agriculteurs pour des demeurés psychorigides qui paniquent en voyant trois pucerons ?

 

 

« Dépendance » aux pesticides ?

En 2005, une « expertise collective » de l’INRA et du CEMAGREF (aujourd’hui IRSTEA) a préfiguré politiquement le plan Ecophyto et son objectif de « réduction de l’utilisation des pesticides » comme point clef  indiquant une amélioration des pratiques. Les indicateurs d’impact, qui auraient dû être prioritaires y ont été complètement négligés. Voir ici sur ForumPhyto.

Pour accréditer cette thèse, l’INRA et le CEMAGREF ont avancé que les agriculteurs sont « dépendants » aux pesticides. Ce terme est très ingénieux et pernicieux. Il sous-entend que les producteurs sont des drogués qu’il importe de désintoxiquer…

En accordant la priorité à cette volonté de déblocage psychologique et de désintoxication, cela évite de poser trop concrètement le problème réel, tel qu’il se pose au producteur : comment protéger les plantes des bio-agresseurs ?

 

C’est cette vision distordue de la réalité que l’on retrouve aujourd’hui, entretenue politiquement par la partie politiquement environnementaliste de l’INRA, par certaines associations environnementalistes et par leurs relais médiatiques.

 

 

Une agriculture en évolution permanente

Il y a certes, en agriculture comme dans toute profession, des résistances aux changements. Mais, quand résistance au changement il y a, il ne sert à rien d’incriminer les blocages psychologiques.

Il vaut mieux jouer sur des facteurs plus importants et sur un terrain plus opérationnel : améliorer l’accès à l’information (de l’information concrète, pas des réflexions pseudo-philosophiques sur les systèmes de cultures), aider à l’amélioration des moyens matériels, etc.

Mais surtout, il importe qu’il y ait des moyens alternatifs réellement utilisables. Les producteurs sont hésitants quand on leur propose des méthodes alternatives complexes à mettre en œuvre et aux résultats relativement aléatoires. Mais, par exemple, dès que les producteurs de tomates en serres ont pu utiliser les auxiliaires biologiques de culture, ils l’ont fait. Le basculement généralisé s’est opéré en quelques années.

 

De plus, et surtout, la protection phyto conventionnelle change continument depuis 50 ans : amélioration du profil des substances, plus sûres pour l’applicateur et pour l’environnement, améliorations des matériels de pulvérisation, connaissance plus intime du cycle des végétaux, des bio-agresseurs et des auxiliaires, développement de techniques innovantes ou d’anciennes techniques améliorées (binage guidé par exemple), développement de variétés résistantes, etc.

Depuis 50 ans, l’agriculture et les agriculteurs ont beaucoup plus changé que ne l’imaginent certains chercheurs de l’INRA et certains environnementalistes.
Et ils continuent de changer…

 

Les indicateurs de volumes utilisés, quand ils sont utilisés seuls et quand ils sont utilisés comme objectifs intangibles, peuvent être une impasse et entretenir les frustrations chez les producteurs comme chez les environnementalistes. Plutôt que de se focaliser uniquement sur ces indicateurs de volumes, il importerait de travailler à des indicateurs d’impact et de risque.
L’INRA, les associations et leurs médias-relais, s’ils veulent réellement un progrès environnemental, devrait contribuer à populariser les travaux en cours sur ces indicateurs d’impact.