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Inquiétant effet cocktail ? ou manipulation pur jus ?

09 août 2012

Sous le titre « L’inquiétant effet cocktail des pesticides sur nos cellules »,  Le Monde daté du 08 aout 2012 rend compte d’une étude universitaire britannique récemment publiée en tant qu’étude préliminaire ». En fait, Le Monde fait une large place aux thèses de Générations Futures qui mène campagne…

 

 

L’étude scientifique de l’Université d’Aston

Michael Coleman et al. publie dans PLoS ONE, une revue scientifique en ligne, un article rendant compte d’une étude exposant in Vitro des cellules à trois fongicides (pyrimethanil, cyprodinil, fludioxonil), individuellement ou de façon combinée. Ils en concluent un possible effet synergique (couramment appelé effet cocktail) de ces substances et la nécessité de poursuivre plus avant les études.

Lire l’article scientifique dans son intégralité : http://www.plosone.org/article/info%3Adoi%2F10.1371%2Fjournal.pone.0042768#pone-0042768-t001

 

Bien que l’étude et les conclusions des chercheurs méritent attention, il faut noter que :

1a) La revue PLoSOne est certes une revue scientifique, mais d’un genre particulier, en partie contestée pour une revue par les pairs (peer review) insuffisante

1b) Les chercheurs Coleman et Reiss (parmi les co-auteurs de l’article scientifique) sont membres de l’organisation scientifique militante Antidote (voir http://antidote-europe.org/why-antidote-europe/responsible-science). De plus, l’étude est co-financée par Générations Futures et des associations pour le bien-être animal. Tout ceci peut laisser penser à un certain parti pris…

1c) L’article scientifique lui-même est présenté comme « une étude préliminaire » par l’article du Monde. L’article scientifique  a des conclusions modérées : il faut, selon celui-ci, poursuivre d’autres études pour mieux appréhender l’impact réel.

1d) Le résumé de l’article scientifique alerte sur la faible dégradation de certaines substances lors de la vinification. Michael Coleman (l’un des auteurs de l’article scientifique) oublie cependant de dire que lors de la vinification les pulpes, a priori la partie la plus concentrée en résidus, sont un déchet et ne sont pas présentes dans le vin. Il oublie également de dire que les fruits et légumes frais sont en général « préparés » : au minimum lavés, puis souvent cuits.

1e) Mais, surtout, Le Monde cite cette déclaration de M Coleman : «Notre étude porte sur un petit nombre de substances, elle apporte plus de questions que de réponses, mais ces effets ont été mis en évidence à des doses très faibles, des concentrations proches de celles trouvées dans nos aliments».

Or ce rapprochement est contestable de trois points de vue :

– 1° les cellules de notre corps ne sont pas exposées à notre alimentation, mais à notre alimentation digérée (et diluée). Extrapoler directement est plus que contestable.

– 2° Les taux retrouvés dans l’alimentation ne sont pas les LMR.
a) Les taux retrouvés dans les fruits et légumes sont, en moyenne, très largement inférieurs aux LMR, souvent de plusieurs ordres de grandeur (même s’il arrive occasionnellement qu’ils flirtent avec les LMR, voire les dépassent, exceptionnellement).

b) Les concentrations utilisées dans l’expérience  sont évoquées « comme celles trouvées dans nos aliments ». Or, en supposant même que tous les aliments contiennent des résidus au niveau de la LMR (ce qui serait le pire des cas), les concentrations utilisées dans l’expérience sont beaucoup plus importantes  que ce qui serait dans notre alimentation dans ce pire des cas : concernant ces substances, seuls quelques fruits et légumes ont des LMR de l’ordre de quelques ppm ; la plupart des aliments que nous ingérons ont des LMR très nettement inférieures, souvent 0.05 ppm (qui est en fait la limite officielle de quantification)….

-3° Les concentrations utilisées dans les expériences vont de 1 µM à 1000 µM, ce qui correspond approximativement à de 0.2 ppm à 200 ppm. Or les effets synergiques supposés ne sont vraiment significatifs qu’à partir de l’ordre de 100 µM ou plus. La figure 3, par exemple, montre clairement qu’il faut une concentration de 500 µM (soit de l’ordre de 100 ppm) pour avoir un effet synergique sur un des indicateurs choisis dans un type de cellules (et encore pas le même selon le type retenu de cellules testées). Cette même figure 3 montre d’ailleurs un effet plutôt antagoniste à des doses de 60 µM (soit de l’ordre de 12 ppm). Sans compter le fait que les cellules ne sont pas exposées à des concentrations présentes dans notre alimentation (voir plus haut)

 

L’article du Monde

L’article du Monde consiste essentiellement à reprendre la rhétorique de dramatisation de Générations Futures, en caricaturant l’article scientifique.

Toutes les modérations et prudences présentes dans l’article scientifique, déjà contestable en soi, sont gommées.

Le Monde mentionne dans son article : « Les dommages infligés aux cellules sont jusqu’à vingt ou trente fois plus sévères lorsque les pesticides sont associés » sans prendre la peine de mentionner à quelles doses se manifeste un tel effet synergique…

– Le discours plus purement militant d’Antidote ressort alors. Par exemple avec ce slogan présent dans l’article : « Nous ne sommes pas des rats de 70kg! ». Ce slogan n’est certes pas totalement faux, mais omet de préciser que c’est toujours l’animal de laboratoire le plus sensible (et non pas seulement le rat) qui est choisi, qu’il y a d’autres marges de sécurité, etc.
De plus, la plus grande validité d’une extrapolation à partir d’une expérience in vitro sur quelques types particuliers de cellules, protocole prôné par Antidote, demanderait une explication plus précise et une expertise indépendante .

Beaucoup des arguments sont alors du pur réchauffé : présence de plusieurs résidus (sans mention des taux…), analyses sur des grappes de raisin en 2008, etc.

 

Bref, l’instrumentalisation de l’étude est claire : il s’agit d’argumenter sans nuance et à tout prix pour peser sur l’EFSA pour qu’elle baisse les LMR…
L’article du Monde est, avant tout, une reprise pure et simple des thèses de Générations Futures, sans aucun recul, et une tentative médiatique de raviver la hantise des résidus. Cela réussit malheureusement, même si ce n’est qu’en partie : médisez, médisez, il en restera toujours quelque chose.

 

Dans les médias

Quelques médias, essentiellement ceux sensibles aux thèses écologistes, reprennent l’article du Monde ou font un article similaire : Le blog lié à Générations Futures bien sûr, mais aussi Actu-Environnement, Féminin bio Bio-Addict, Wikistrike, etc.

Plus surprenant, La France Agricole résume l’article du Monde sans aucun recul.

 

L’article scientifique mérite examen et devrait être évalué par des instances scientifiques indépendantes des ONG commanditaires. Il serait utile que l’EFSA (agence européenne de sécurité des aliments) et/ou l’ANSES (Agence française) se saisissent de ce dossier.
Par contre, l’article du Monde, constitue de fait une entreprise consciente de manipulation informative sous couvert de science, qui est irresponsable. Elle peut porter gravement atteinte à la santé publique en écartant indûment le consommateur des fruits et légumes. Il est du rôle des pouvoirs publics d’alerter l’opinion sur ce genre de manipulation.