Europe et international, Union Européenne

Suspension de trois néonicotinoïdes : la suite

28 mai 2013

Abeilles Bastamag La décision politique de la Commission Européenne de suspendre trois néonicotinoïdes continue, plus que jamais, à faire débat. Les ONG et les apiculteurs clament qu’il s’agit d’une victoire historique et demandent un élargissement de la suspension et son renforcement en interdiction définitive. Les firmes, les organisations professionnelles agricoles et de nombreux scientifiques sont soit dubitatifs soit carrément critiques. Tour d’horizon, analyse et perspective.Le tour des réactions dans l’Union Européenne sur Euractiv dans : « Vote sur des pesticides : victoire « historique » selon des ONG écologistes » (in English).

L’opinion de Tonio Borg, Commissaire européen à la santé et à la consommation. Parmi d’autres sujets liés à la santé, il soutient la position de l’UE, dans une interview vidéo sur Euronews en réponse à une question d’auditeur (voir entre 3mn47s et 5mn20s).

Le Nouvel Observateur publie un article relativement équilibré, avec description des interdictions et de ce qui reste autorisé et justification de Tonio Borg. L’article conclut par les autres facteurs à risque pour les abeilles : « des parasites, d’autres pathogènes, le manque de médicaments vétérinaires ou parfois leur utilisation abusive, la gestion de l’apiculture et des facteurs environnementaux tels que le manque d’habitats et de nourriture ainsi que le changement climatique ».

 

Les ONG crient victoire… et demandent plus des interdictions élargies et définitives

Pour l’Union nationale de l’apiculture française (Unaf), « c’est un grand jour mais ce n’est qu’un premier pas pour la protection de l’apiculture, des pollinisateurs et de l’environnement. »
Pour Greenpeace, « Tout plaide en faveur de cette interdiction : le soutien politique exprimé par le vote d’aujourd’hui, les preuves scientifiques et la vaste mobilisation citoyenne. » Greenpeace demande « l’interdiction, sur l’ensemble des cultures agricoles, d’autres pesticides dangereux pour les pollinisateurs : le fipronil, le chlorpyriphos, le cyperméthrine et la deltaméthrine. » Ces citations sont extraites de La France Agricole.
Les positions des ONG sont reprises dans la plupart des médias. Par exemple Actu-Environnement,

 

Les réactions détaillées de la profession et des fabricants

Dans son communiqué de presse, l’UIPP (firmes phytosanitaires) « regrette le moratoire de 2 ans proposé par la Commission » et demande « dès maintenant la mise en œuvre d’une expérimentation à large échelle pour connaître les vraies causes de difficulté de la filière apicole et mesurer de manière fiable l’indicateur de « mortalité des abeilles ». :

Syngenta, dans son communiqué de presse (in English), souligne que la Commission n’a pas réuni de majorité qualifiée pour l’interdiction des néonicotinoïdes et « invite la Commission à retourner à la table de négociation plutôt que d’imposer une décision par la force ». Pour Syngenta, « la proposition de la Commission est basée sur de la mauvaise science et ne tient pas compte des preuves de terrain qui montre que ces pesticides ne causent pas de dommage à la santé des abeilles »

Pour Bayer, la position de la Commission Européenne est une « régression en matière d’innovation et de durabilité ». Bayer considère que la suspension envisagée n’aura « pas d’impact positif sur la santé des abeilles. » « La firme travaillera avec toutes les parties prenantes et les autorités des Etats Membres pour gérer les conséquences complexes de cette décision, pour aider ses clients »

Sous le titre « Pesticides suspendus: une décision hâtive pour la FNSEA et la Coordination rurale », Romandie.com rend compte des positions des syndicats agricoles français. Pour la FNSEA, « cette décision, prise sans l’aval d’une majorité qualifiée d’Etats membres, va à l’encontre des intérêts croisés agriculteurs/apiculteurs ». La Coordination Rurale a une position analogue. La Confédération Paysanne « se réjouit de cette avancée, mais considère la mesure largement insuffisante »

ORAMA (alliance des syndicats grandes cultures de la FNSEA) demande à la Commission de « renoncer » à la suspension. Mais surtout, réitère sa « demande de conduire et de poursuivre dès cette campagne avec les instituts techniques, dont l’institut de l’abeille, et la recherche publique des expérimentations  » grandeur nature «  quant aux effets des produits issus de la famille des néonicotinoïdes sur les abeilles ».
Cette demande rejoint celle du GNIS (Interprofession de la production de semences). Voir « Le Gnis redoute les conséquences de la suspension de trois insecticides par la Commission européenne »

Sous le titre « Suspension des néonicotinoïdes : L’environnement et les producteurs perdants Attention à l’effet boomerang », le Collectif Sauvons les Fruits et Légumes de France (CSLFLF) voit cette décision comme le « résultat d’un lobbying démagogique et effréné d’associations environnementalistes ». Et prévient « Attention : dès demain, les associations environnementalistes expliqueront que la mortalité des abeilles est due à d’autres substances pour masquer leur incapacité à faire face aux enjeux techniques et économiques de la filière apicole »
Ce communiqué de presse a été en partie repris par quelques médias. Par exemple, dans un article relativement équilibré de ConsoGlobe.

 

Et maintenant ?

Suite à la décision de la Commission de suspendre les trois néonicotinoïdes, Stéphane Le Foll a déclaré : « Maintenant, on a un chantier devant nous pour essayer de garantir la protection d’un certain nombre de productions, de récoltes et de céréales » (extrait de « Abeilles/pesticides: Le Foll se réjouit », Le Figaro)
Sur Agriculture et Environnement, dans « la fin définitive  de trois néonicotinoïdes, Gil Rivière-Wekstein  commente fort justement : « Aveu pathétique de son absence totale de solution de rechange dans sa « boîte à outils » ! On interdit d’abord, on verra ensuite. (…) Otage de son discours et soucieux de satisfaire les desiderata de ses alliés politiques, Stéphane Le Foll ne pourra que procéder à un élargissement des interdictions, et limiter encore et encore l’usage des pesticides. Privée d’outils performants, l’agriculture en paiera le prix fort, réduisant de plus en plus sa compétitivité face à ses concurrents, qui ne sont pas qu’européens.
Au final, on peut se demander si le grand perdant de cette affaire ne sera pas le projet de redressement économique de son ami, le président Hollande. À moins que notre ministre de l’Agriculture compte sortir la France de la crise économique en exportant quelques kilos de camemberts bio et autres produits « de terroir » en Chine… »

De plus, comme nous l’avions mentionné dans de précédents articles (voir ici), il y a fort à parier que cette suspension, ou toute nouvelle interdiction qui surviendrait, ne changera rien à la mortalité des abeilles. Tant qu’on ne s’attaquera pas aux causes principales (maladies et nutrition), elles continueront à dépérir.
Le Plan apiculture durable du gouvernement français finira bien par identifier ces causes. On peut alors espérer un changement de fond.
Les ONG ont remporté une bataille.
Les agriculteurs, et les abeilles, n’ont pas perdu la guerre.

 

Pour aller plus loin :

Questions/réponses (in English) sur les néonicotinoïdes et les abeilles sur le site de sense about science : les principaux arguments scientifiques en jeu.