Réglementation, Union européenne

Les perturbateurs endocriniens : suite du feuilleton

02 oct. 2013

Pendant la préparation de réglementations européennes sur les perturbateurs endocriniens, le débat continue de faire rage. Des toxicologues scientifiques appellent la Commission Européenne à ne pas réécrire à la légère des principes scientifiques et réglementaires. Mais les environnementalistes les accusent d’être manipulés par les industriels. Le point du débat.

Des scientifiques qui en appellent à la raison et à l’expérience

18 scientifiques signent un éditorial paru dans 14 revues scientifiques : « De la précaution non-fondée scientifiquement dirige les recommandations de l’UE sur la réglementation des perturbateurs endocriniens, en dépit du bon sens et à l’encontre de la science bien établie et des principes d’analyse de risque » (in English).
Pour eux, la question de la  perturbation endocrinienne est une vraie question de santé publique qui ne doit pas être négligée. Mais l’orientation que semble prendre la Commission Européenne sous la pression environnementaliste est profondément mauvaise.
Leurs arguments principaux sont :
– Il faut distinguer effet endocrinien (bénin) et perturbation endocrinienne vraie, c’est-à-dire ayant des effets négatifs sur la santé.
La notion de toxicité « sans seuil » ne doit pas être retenue dans l’état actuel des connaissances scientifiques.
– En biologie, on peut démontrer un risque. On ne peut pas démontrer une absence de risque. Donc, vouloir interdire les substances « suspectées » de perturber le système endocrinien est disproportionné et contraire à tous les principes scientifiques.

Ces scientifiques ont par ailleurs initié une lettre ouverte à Anne Glover, conseillère scientifique en chef auprès de la Commission Européenne. Cette lettre a été signée par 71 scientifiques.

 

Des environnementalistes jusqu’au-boutistes

Sous le titre « Les perturbateurs endocriniens, objets de tous les lobbies », Le Journal de l’Environnement interviewe Stéphane Horel, journaliste environnementaliste radicale, également auteure d’un article (in English) sur le même sujet dans Environmental Health News. S Horel, au contraire des scientifiques, affirme que « les PE ne connaissent pas les seuils, ils sont actifs, et parfois même plus actifs, à faible dose ». Mais son attaque principale concerne les « conflits d’intérêts » : « Sur les 71 signataires (de la lettre ouverte à Anne Glover), j’ai mis à jour sur 40 d’entre eux des liens documentés avec le secteur privé. ». Et donc, pour elle, leur avis ne mérite aucune considération. Elle les accuse d’aller « contre une décision votée par le peuple, à savoir cette approche de précaution. »

Le Réseau Environnement Santé, Collectif d’ONG environnementalistes, soutient sans réserve la thèse de Stéphane Horel dans un communiqué de presse intitulé « Perturbateurs endocriniens : quand science, politique et business font mauvais ménage« . Et affirme que dans le cas des perturbateurs endocriniens, le principe de précaution doit s’appliquer puisque  » la science ne peut conclure de manière catégorique mais qu’elle apporte des éléments de preuves raisonnables que l’inaction pourrait s’avérer plus dommageable ».
Les éléments de preuve avancés par les environnementalistes sont-ils « raisonnables » ? Toute la question est là. Mais, foin de détail ! Nos environnementalistes aiment beaucoup le principe de précaution, le dégainent très vite et le mettent à toutes les sauces !

Dans un article sur le Huffington post, François Veillerette, président de Générations Futures, ONG antipesticides, rajoute : « Des conservatismes veulent revenir sur l’exclusion des pesticides perturbateurs endocriniens prévue au niveau européen ».

Agir pour l’environnement a publié un Communiqué de presse en forme de pétition qui demande en premier lieu  « au Commissaire européen à la santé et aux consommateurs de mettre en place une définition des perturbateurs endocriniens qui soit la plus inclusive possible, c’est-à-dire qui ne laisse de côté aucun PE suspecté ».

 

Un peu de sérénité et de rationalité ne nuirait pas…

Dans le règlement européen 1107/2009 sur les produits phytopharmaceutiques, la perturbation endocrinienne est un critère d’exclusion : toute substance endocrinienne doit être interdite. Lors de la discussion, comme de nombreux intervenants de la filière, nous avons montré le danger d’une telle notion. Il serait plus logique qu’une substance soit jugée en fonction, non pas de son danger intrinsèque, mais d’une analyse de risque.
L’UE en a décidé autrement. Dont acte. Au stade actuel, personne ne remet en cause cette notion de critère d’exclusion.
Mais il y a bien un débat politique de fond :
Qu’est-ce que la perturbation endocrinienne ? Un effet même bénin est-il réellement une « perturbation » ?
Faut-il ou non interdire les substances « suspectes », ou seulement les perturbateurs avérés ?

La position environnementaliste radicale voudrait que tout effet endocrinien soit considéré comme perturbation, et que tout suspect soit déclaré coupable. Au premier abord, cette position peut paraître logiquement prudente.
Mais, avant d’interdire toute substance pouvant avoir un effet endocrinien, plusieurs remarques s’imposent :
– Si les substances sont employées, c’est qu’elle présente un côté positif. Condamner tout « suspect » ou interdire toute substance ayant un effet bénin serait nettement contreproductif en matière de santé publique. Il ne faudrait pas que l’arbitraire total l’emporte.
– L’activité endocrinienne peut être recherchée ! C’est typiquement le cas pour les pilules contraceptives, mais aussi pour de nombreux médicaments : anti-cancéreux,…
– Il n’y a pas de raison scientifique pour juger différemment de l’utilité ou des inconvénients d’une substance selon qu’elle est naturelle ou artificielle. Or, de nombreuses substances présentes naturellement dans la bière, le lait, des plantes, etc. ont une activité endocrinienne. Qu’il faudrait donc interdire ?! L’huile de neem, utilisée comme insecticide en agriculture biologique, est aussi utilisée comme contraceptif masculin, parce qu’elle est un perturbateur endocrinien.

Les environnementalistes veulent non seulement écarter les substances présentant un danger avéré ; ils veulent aussi faire interdire, sans autre forme de procès, toute substance suspecte… à leurs yeux !
Il est temps de revenir à un peu plus de science. Basée sur des faits vérifiables et vérifiés.

La Commission Européenne sera-t-elle influencée par cet ultimatum, basculant dans l’arbitraire ? Ou bien prendra-t-elle une décision basée sur les principes de la science : interdire les perturbateurs endocriniens avérés, ayant un effet négatif sur la santé ?
Tout le débat est là.