Bonnes pratiques, Protection intégrée

Baisse de l’utilisation des pesticides : discours ministériel et faits…

12 déc. 2013

Lors d’une réunion du Plan Ecophyto, Stéphane Le Foll s’est félicité de la baisse de l’utilisation des pesticides en France : Le nombre de doses utilisées (NODU) a baissé de 5.7% en 2012. De nombreux médias relaient l’information. Qu’en est-il ?

Le discours de Stéphane Le Foll

Pour Stéphane Le Foll, cette baisse est un « des résultats nettement encourageants » de l’activité du plan Ecophyto en 2012 ; Et c’est le point de départ de son grand projet agro-écologique présenté il y a un an. Dans le même sens, la Loi d’Avenir pour l’agriculture va « donner un nouvel élan à l’agriculture française et engager la France dans le défi de la transition écologique, qui concilie compétitivité et respect de l’environnement ».

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Les points essentiels selon lui de la Loi d’Avenir :

– « Faire reconnaître clairement les principes de la lutte intégrée dans la loi française ».
Or, non seulement ces principes sont déjà inscrits dans les lois Grenelle et dans la directive européenne 2009/128 sur l’utilisation durable des pesticides, mais les producteurs et leurs organisations mettent en place et utilisent ces principes depuis de nombreuses années.
Pour mettre en place la protection intégrée, les producteurs ont surtout besoin de résultats de recherche, d’information, de formation, etc. Ils sont les seuls à pouvoir mettre en place un des principes fondamentaux de la protection intégrée : l’adaptation aux conditions locales (sol, climat, contraintes de travail et autres contraintes économiques, etc.). Pour améliorer encore l’application sur le terrain, il n’est pas sûr qu’ils aient besoin d’une « loi », encadrant et bridant encore un peu plus leur métier d’en haut.

– « Faciliter le recours aux produits de bio-contrôle pour l’ensemble des agriculteurs ». C’est une intention louable.
Cependant, d’une part le biocontrôle est déjà largement utilisé par les producteurs, en particulier de fruits et légumes, là où il est efficace, souvent sur des bioagresseurs très spécifiques. Il est le plus souvent utile en complément de la protection conventionnelle. Il n’y pas lieu d’opposer moyens conventionnels et de biocontrôle.
D’autre part, les obstacles à une utilisation généralisée du biocontrôle sont certes en partie réglementaires. Ils sont aussi techniques et logistiques. Il faut surtout des efforts de recherche et du temps.

Le communiqué de presse du ministère évoque également la  lutte contre les contrefaçons et les importations illégales et l’interdiction de toute publicité vers le grand public, points importants, mais moins stratégiques

La réalité : une baisse tendancielle importante sur le long terme

TonnagePhytosFrance1998-2011

La France consomme pratiquement 2 fois moins de pesticides en 2012 qu’en 1999.

Le titre et le fond de l’article du Monde « Baisse inédite des pesticides en France » sonnent donc particulièrement faux !

En fait, les deux questions à se poser quand on parle de l’évolution des quantités de pesticides utilisés :
Quel indicateur choisit-on ? Le plan Ecophyto se focalise sur l’IFT (Indice de Fréquence de Traitement), nombre de doses utilisées sur une culture donnée, ou sur le NODU, nombre de doses utilisées au total en France.  Ni l’IFT, ni le NODU ne prennent en compte la baisse des volumes utilisés à la dose d’homologation.
Par exemple, si un traitement anciennement homologué en pulvérisation sur toute la surface est remplacé par un traitement homologué pour un traitement en localisé, cela divise la quantité utilisée par ha par exemple par 10. Mais cela ne change rien ni à l’IFT, ni au NODU…
Quelle période observe-t-on, et à quel pas de temps ? Le plan Ecophyto a choisi l’année 2009 comme année de départ. Et les commentateurs, y compris le ministère observe l’évolution les années une par une. Or, juger de l’évolution réelle des pratiques nécessite d’observer sur une plus grande période, de façon à ne pas fausser les résultats du fait, par exemple, d’une année pluvieuse.

Réduire les impacts : une orientation déjà largement engagée

L’IFT et le NODU sont de bons « indicateurs ». A condition de les prendre pour ce qu’ils devraient être : des indicateurs parmi d’autres. Qui ensemble permettent de mieux comprendre la réalité.

Mais, si on les prend pour des objectifs intangibles, si on ne prend pas en compte des indicateurs complémentaires, on fait fausse route : il ne faut pas « fétichiser » les indicateurs, spécialement l’IFT et le NODU.

L’ensemble des filières agricoles est d’accord pour un objectif de « réduction de 50% de l’utilisation des pesticides en 10 ans, si possible », comme spécifié lors du Grenelle de l’environnement.
Mais, d’une part, cet objectif doit être apprécié sur le long terme.
D’autre part, cet objectif ne sera réellement atteint que si l’on vise d’abord, non seulement une plus grande utilisation des moyens de biocontrôle, mais aussi une utilisation prudente et raisonnée des pesticides : méthodes agronomiques et préventives (rotation, variétés, façons superficielles…), outils d’aide à la décision, formation des producteurs, entretien et réglage des matériels de pulvérisation, etc.
L’amélioration des produits eux-mêmes permet de réduire les risques pour l’environnement et la santé humaine : substances plus dégradables, plus spécifiques (donc moins dangereuses pour les auxiliaires), etc.

Biochimie et biocontrôle

A noter que selon La France Agricole, S Le Foll a déclaré lors de la conférence de presse : « Face aux géants de la chimie, il faut créer des géants du biocontrôle ».
Or, certes il y a de relativement petites entreprises produisant du biocontrôle. Mais les géants du biocontrôle existent. Les producteurs les connaissent. Ces géants s’appellent BASF (voir ici), Bayer (voir ici et ici), Monsanto (voir ici)… Il y a aussi des entreprises indépendantes : Goëmar (voir ici), Biobest, … et d’autres plus modestes
Non, monsieur le ministre, il n’y a pas des gros méchants chimiques et des petits gentils bio. Il y a des entreprises et des clients de ces entreprises, les agriculteurs, qui utilisent les connaissances scientifiques les plus récentes pour développer la protection intégrée, laquelle utilise des moyens chimiques ET des moyens de biocontrôle.
Pour minimiser les impacts sur l’environnement et la santé humaine, les agriculteurs et, plus généralement la société, ont besoin de TOUS les moyens, en complément les uns des autres. Pour cela, ils ont surtout besoin d’un cadre réglementaire clair qui tienne compte des besoins prioritaires des producteurs, particulièrement concernant les usages orphelins. Les pouvoirs publics ont des progrès à faire en la matière…

Stéphane Le Foll parle d’une « dynamique de réduction (…) désormais enclenchée » « grâce » au plan Ecophyto. Mais les producteurs n’ont pas attendu le Grenelle et Ecophyto. Ce travail d’amélioration des pratiques est commencé… depuis plus de 20 ans.  Et c’est la raison fondamentale de la baisse des volumes utilisés !

Pour aller plus loin :
Sur le site du ministère de l’agriculture : Conférence de presse de Stéphane Le Foll, Communiqué de presse, Dossier de presse

Dans la presse, on évoque surtout la première que constituerait une baisse des utilisations.
Voir par exemple les articles de Le Monde, Actu-Environnement, Les Echos, Sciences et Avenir

Les ONG environnementalistes parlent d’une diminution en trompe-l’œil des utilisations.
Voir par exemple les articles de France Nature Environnement, Générations Futures

Commentaire de VISOR :

Les affirmations du ministre sont inexplicables car toute la profession sait que le chiffre d’affaires des produits phytos (UIPP) a augmenté en 2012 (malgré une évolution des prix quasi nulle) et augmentera encore en 2013. Il y a donc hausse nette de la consommation sur les 3 dernières campagnes et ceci est bien la preuve que les agriculteurs raisonnent car les conditions climatiques favorables aux maladies et aux mauvaises herbes nécessitaient de protéger les cultures.
L’objectif de baisser les volumes (plutôt que les impacts) quels que soient les risques et le niveau de la production n’a aucun sens même si tout le monde fait semblant d’y adhérer. La fluctuation de plus en plus grande de la consommation des phytos (même lorsque c’est à la hausse) est donc positive. Par ailleurs, toute la recherche en agrochimie depuis 30 ans a consisté à sélectionner des produits moins rémanents (dégradation rapide) et à spectre moins large: il est donc compréhensible que le nombre de traitement ne baisse pas. Le nombre de traitements (NODU/IFT) est un mauvais indicateur et les centaines de millions d’€ ( impôts) dépensés pour faire baisser les phytos devraient être utilisés pour améliorer la compétitivité de notre agriculture .
En conclusion, le message du ministre n’est pas vrai et si il l’était ce ne serait pas vraiment une bonne nouvelle !
Il a tout faux.