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Contre le renoncement habillé de vert par les obscurantismes… (Yves Bréchet dans Progressistes)

09 oct. 2015

Sous le titre « Du «devoir de mauvaise humeur» à la «défense du bien public» », Yves Bréchet, Académie des sciences, analyse les causes et les effets, dans la société actuelle, « d’un renouveau des obscurantismes de tout poil qui habillent de vert un renoncement de l’être humain à maîtriser la nature qui l’entoure, un refus de la réalité du progrès scientifique et technique ». Il donne également des pistes de solution.

Comme l’écrit Guy Waksman dans la gazette de l’AFIA (où cet article a été indiqué par Marcel Kuntz, CNRS), c’est la première fois depuis très longtemps que « à gauche, […] une revue prend position contre tous ceux qui rejettent les sciences et les techniques »

Quelques extraits :

« La notion vague d’« exigences sociétales » comme prérequis au besoin de connaissance a pris le relais de la « justification par les œuvres » de la connaissance scientifique. Cette finalisation de la recherche par les exigences de la société (réelles ou supposées) n’est pas moins dommageable au progrès que ne l’était l’idéologie qui voulait la soumettre totalement aux exigences du monde économique. Le motif de la finalisation semble plus doux, il n’en est que plus sournois. »

« La désaffection pour la recherche scientifique et l’exigence de finalisation par les exigences sociétales trouve ses racines dans un déni d’universalité […] Sur ce terreau prospère un renouveau des obscurantismes de tout poil qui habillent de vert un renoncement de l’être humain à maîtriser la nature qui l’entoure, un refus de la réalité du progrès scientifique et technique »

« Victimes de leurs succès, la science et la technique ont si bien réussi à améliorer la vie des hommes que leurs acquis sont considérés comme allant de soi. […] Il faut rappeler que l’état de nature est, pour l’être humain mâle, de mourir à la chasse à trente ans et, pour la femelle, en couches à vingt-cinq. Seule la science nous a sortis de cette situation naturelle peu enviable… idéal d’un rousseauisme mal digéré. »

« Croyez-vous que nous touchions le fond ? Point donc ! C’est un véritable fanatisme antiscience que l’on voit se développer, complaisamment relayé par les médias. Les technologies, en ce qu’elles influent sur notre quotidien, en sont la première cible. Et, comme dans toute secte, les nouveaux convertis sont les plus fanatiques. On voit parfois des scientifiques militer dans ces officines. »

« Que des adolescents en mal d’autonomie règlent leurs problèmes avec le papa qui travaille au CEA et la maman à STMicro-electronics en organisant des manifestations contre les nanotechnologies, s’aidant pour ce faire de téléphones portables et d’appareils numériques eux-mêmes truffés de nanotechnologies, c’est simplement cocasse. Mais que les agissements d’intimidation de sectes antiscientifiques trouvent un écho dans une intelligentsia complaisante, […] cela passe l’entendement. Il y a un devoir d’indignation, et non de sympathie, vis-à-vis de ces pratiques. »

Puis après avoir listé « quelques éléments de diagnostic externe » pouvant être à l’origine d’une telle dérive de notre société, Yves Bréchet retient surtout : « La méfiance vis-à-vis des apports de la science et de la technique n’est pas une nouveauté ; ce qui est nouveau est l’absence de confiance dans l’expertise, qui était la médiation classique de la science vers le public et les décideurs. […] Nous vivons une crise de l’information. Jean Rostand assurait que les médias ne rendaient pas les gens plus sots, mais la sottise plus sonore.

Et il conclut :
« Comme toutes les maladies graves des sociétés, le remède potentiel est dans l’éducation. Il faut revoir la formation des scientifiques en leur rappelant que la science est une composante de la culture. Il faut reprendre la formation des journalistes et les initier à la critique des textes scientifiques, et à distinguer un raisonnement scientifique d’un énoncé utilisant des termes scientifiques. Il faut reprendre la formation des décideurs politiques : savoir choisir ses experts est un talent précieux. […] il n’est plus possible de se contenter de « mauvaise humeur », il faut prendre la défense de la démarche scientifique, de la liberté de chercher, de la dignité de comprendre, et revendiquer la démarche scientifique non pas comme l’apanage de quelques savants, mais comme un bien public au service de tous »

Pour tous ceux qui s’intéressent au débat sociétal autour de la science, lire la totalité de l’article est indispensable.

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