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Pesticides et santé des agriculteurs : attention aux faux témoins !

04 janv. 2016

Les pesticides sont soupçonnés de causer des maladies chez les agriculteurs qui les utilisent : une expertise collective de l’INSERM parue en 2013[1] a recensé 11 pathologies, pour lesquels un lien a été évoqué avec l’exposition aux pesticides. Ces résultats proviennent majoritairement d’enquêtes épidémiologiques, où une population exposée aux pesticides est comparée à une population dite « témoin », qui n’y est pas exposée. Si la maladie est plus fréquente dans la population exposée que dans la population témoin, c’est un indice fort pour supposer que les pesticides augmentent le risque de la contracter. Ces soupçons sont encore plus forts, si on trouve en plus un effet-dose : c’est-à-dire si les individus les plus exposés ont un risque de maladie encore plus fort que ceux qui ne sont que faiblement exposés.

Pourquoi il y a des bons et des mauvais témoins…en épidémiologie

Si on observe qu’une maladie est plus fréquente chez les agriculteurs que dans la population générale, est-ce que cela suffit pour démontrer que c’est dû aux pesticides ? A l’évidence, non : la maladie pourrait très bien être due à un autre facteur environnemental, lié aux métiers agricoles, mais différent des pesticides. Imaginons par exemple qu’une maladie soit favorisée par l’exposition aux fumées de moteur diesel : les agriculteurs, qui travaillent beaucoup sur des tracteurs diesel, avec le pot d’échappement juste devant leur tête, seront plus atteints par cette maladie que la population générale.

Si on observe maintenant que cette maladie est plus fréquente chez les utilisateurs de pesticides que chez les personnes qui n’en utilisent pas, pourra-t-on cette fois incriminer les pesticides sans risque d’erreur ? On serait tenté de le penser… mais c’est là qu’il faut se poser la question de la population témoin employée :

  • Si on compare les utilisateurs de pesticides à la population générale, on va en fait retomber sur le problème précédent : en effet, les utilisateurs fréquents de pesticides sont, dans leur grande majorité, des agriculteurs. On va donc comparer, d’une part une population exposée, constituée en très forte majorité d’agriculteurs ; et, d’autre part, une population témoin, où les agriculteurs sont absents ou très minoritaires. On risque donc de faire la même confusion que dans la comparaison « agriculteurs vs population générale »
  • La comparaison la plus pertinente dans ce cas sera de prendre comme population exposée les agriculteurs utilisateurs de pesticides, et comme population témoin les agriculteurs non utilisateurs : si la maladie est bien causée par les pesticides, les deux populations auront des niveaux de risque très différents ; par contre, si elle est causée par un autre facteur lié à l’agriculture, ces deux populations auront des niveaux de risque voisins… et tous deux supérieurs à celui de la population non agricole. A partir du moment où une maladie a été identifiée comme surreprésentée chez les agriculteurs, c’est donc sur ce type de comparaison qu’il faudrait se concentrer, pour démontrer un effet des pesticides.

Ce raisonnement de logique élémentaire parait évident…et pourtant !

On ne trouve que ce que l’on cherche

Prenons l’exemple d’une des meilleures études réalisées sur la maladie de Parkinson chez les agriculteurs : celle d’A. Elbaz et ses collaborateurs, parue en 2009[2]. Cette enquête se distinguait par un protocole d’évaluation de l’exposition aux pesticides particulièrement détaillé, et comprenait justement des agriculteurs utilisateurs et non utilisateurs de pesticides, et des non agriculteurs. Malheureusement, les auteurs n’ont analysé en détail que la comparaison entre utilisateurs et non utilisateurs de pesticides. Avec cette grille de lecture, les résultats semblent clairs : l’exposition aux pesticides est associée à un risque de Parkinson 1,8 fois plus élevé que chez les non-utilisateurs, avec qui plus est un effet-dose. De plus, les auteurs observent un effet encore plus fort de l’exposition aux insecticides organochlorés. La messe semble donc dite. Cette publication a d’ailleurs beaucoup contribué au classement de la maladie de Parkinson « causée par les pesticides » comme maladie professionnelle des agriculteurs en 2012.

Pourtant, si on essaie, à partir des chiffres publiés par les auteurs, d’estimer le risque pour les agriculteurs non utilisateurs de pesticides, on arrive à une conclusion bien différente : ceux-ci semblent bien avoir une prévalence de Parkinson identique à celles des utilisateurs de pesticides ; de plus, l’ «effet-dose» du travail sur une exploitation agricole est en fait plus élevé que celui de l’exposition aux pesticides ; enfin, l’effet particulier attribué aux organo-chlorés (interdits depuis longtemps) pourrait très bien s’expliquer par un biais lié à l’âge (voir Notes de lecture sur l’étude Elbaz FP).
En conclusion, pour autant qu’on puisse en juger d’après les résultats publiés par les auteurs, les résultats de cette étude semble compatible avec un Parkinson dû à une cause environnementale lié aux métiers agricoles, mais autre que les pesticides. Pourtant, cette hypothèse n’est évoquée nulle part par les auteurs.

Un cas isolé ? Pas si sûr…

Bien entendu, nous ne parlons ici que d’une publication unique, parmi beaucoup d’autres incriminant également les pesticides. Mais son cas est loin d’être anodin : d’une part, nous l’avons vu, elle a été importante pour la classification de la maladie de Parkinson comme maladie professionnelle des agriculteurs. D’autre part, il s’agit de l’une de celles où l’exposition des agriculteurs aux pesticides a été estimée avec le plus de précision : il est donc dommage qu’elle n’ait pas été exploitée pour explorer toute les pistes possibles. Mais surtout, elle démontre par l’exemple l’importance du choix de la population témoin retenue. Ce qui nous amène à la question suivante : ce choix de la population témoin a-t-il fait partie des critères retenus par l’expertise collective INSERM, pour juger de la validité d’une publication ? La réponse est non ! Dans leur discussion des publications citées, les experts indiquent bien si la population exposée se composait simplement d’agriculteurs, ou bien d’agriculteurs utilisateurs de pesticides. Ils accordent fort logiquement plus de poids aux publications faisant état d’un effet-dose… mais ne précisent nulle part la nature de la population témoin ! De même, dans leurs recommandations pour les travaux futurs, toutes portent sur l’amélioration de la mesure de l’exposition (ce qui est bien sûr légitime), aucune sur l’élimination des facteurs de confusion potentiels avec les pesticides. Ce second point devrait pourtant être essentiel : en effet, l’exposition cumulée d’un agriculteur aux pesticides est forcément très corrélée à la durée cumulée de son travail… et donc à l’exposition à tout autre facteur professionnel. Il ne sert donc pas à grand-chose d’affiner la mesure de l’effet-dose de l’exposition, si on ne la compare pas à l’effet dose du temps global de travail sur l’exploitation agricole. Là encore, l’article Elbaz et al en donne un exemple flagrant, avec son effet-dose du temps de travail, supérieur à celui de l’exposition aux pesticides.

Agriculteurs et abeilles, même combat ?

Poser cette question des populations témoin peut passer pour une manœuvre oiseuse destinée à défendre les pesticides contre toute évidence… ou, dans le meilleur des cas, donner l’impression d’un « pinaillage » scientifique qui fait bon marché des risques encourus par les agriculteurs. Attention à ne pas se tromper d’ennemi ! Il est évident que la maladie de Parkinson est surreprésentée chez eux, et que son classement comme maladie professionnelle est parfaitement justifié. Mais se prononcer trop tôt sur la cause risquerait de se retourner contre les agriculteurs, à plusieurs titres :

  • Dans la situation actuelle, les agriculteurs ou travailleurs agricoles non applicateurs de pesticides n’ont aucun recours pour faire reconnaître leur maladie comme ayant une cause professionnelle. Il faudrait donc être sûr que leur risque de Parkinson est bien égal à celui de la population générale.
  • Une attribution erronée aux pesticides retarderait l’élimination de ce problème sanitaire
  • Les agriculteurs sont impactés en tant que victimes potentielles de la maladie de Parkinson, mais aussi en tant qu’employeurs : dans les cas concernant des salariés agricoles, la MSA peut se retourner contre leur employeur[3].

Cette situation fait beaucoup penser à celle des recherches sur les causes de mortalité des abeilles. Ce problème est sur la place publique depuis une quinzaine d’années, sans réponse scientifique satisfaisante. Depuis le début, le sujet est pollué par l’insistance de certains apiculteurs à privilégier l’explication par les pesticides. En quinze ans, la recherche scientifique a certes produit quelques résultats compatibles avec cette hypothèse. Pourtant, l’interdiction quasi-totale de ces produits en France n’a donné aucun résultat. Dans le même temps, beaucoup moins de moyens ont été consacrés à une amélioration du suivi sanitaire de routine des ruchers, et à l’étude des hypothèses alternatives (pathologies, causes alimentaires). Quinze ans après, nous n’en savons pas beaucoup plus sur les causes réelles du déclin des ruches, le consensus scientifique reconnait que ces mortalités ont des causes multi-factorielles, et la situation des abeilles ne s’est pas améliorée.

Le parallèle avec le cas de la maladie de Parkinson chez les agriculteurs est évident, sauf qu’ici l’enjeu est la santé d’êtres humains et non d’insectes : même si les investigations sur le rôle éventuel des pesticides doivent bien sûr être poursuivies, ne négligeons pas trop tôt toute autre hypothèse alternative.

Philippe Stoop, docteur- ingénieur en agronomie, directeur Recherche et Innovation de la société iTK

Pour aller plus loin :
Notes de lecture Elbaz FP, article technique plus complet

[1] http://www.inserm.fr/actualites/rubriques/actualites-societe/pesticides-effets-sur-la-sante-une-expertise-collective-de-l-inserm

[2] Elbaz A, Clavel J, Rathouz PJ, Moisan F, Galanaud JP, Delemotte B, Alpérovitch A, Tzourio C., 2009 :

Professional exposure to pesticides and Parkinson disease. Ann Neurol. 66(4): 494-504.

[3] http://www.leberry.fr/cher/actualite/pays/bourges-et-environ/2015/09/14/sa-maladie-de-parkinson-est-bien-due-a-une-faute-de-son-employeur_11599173.html