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Cash Investigation : désinformation, mystification, et obstination

17 févr. 2016

Cash Investigation pesticides continue d’avoir des arrières effets. Les zélotes y voient la confirmation de leurs thèses les plus sombres. Mais les critiques sévères pleuvent aussi.

Du côté de ceux qui exploitent le filon

Nous avons déjà évoqué ici l’appel aux dons de Générations Futures, partenaire affiché de l’émission.
D’autres initiatives sont notables :
– Plusieurs organisations régionales mais aussi nationales (Générations Futures, PhytoVictimes et la Confédération Paysanne) appelait à une marche blanche à Bordeaux. Malgré un succès tout relatif (600 personnes), la presse s’en est largement fait écho. Voir par exemple : Sud Ouest, Libération, Le Parisien, Le Monde
Comme mentionné dans Libération par une co-organisatrice, « Il fallait absolument faire quelque chose très vite tant que le grand public était encore sous le coup de l’émotion et de l’électrochoc provoqués par l’émission ».
– DocBuzz force le trait pour trouver une « étrange superposition des cartes du suicide et de l’utilisation des pesticides ».
RTS.ch (Radio Télévision suisse) donne, sans distance, l’occasion à Martin Boudot de faire la promotion de son livre prolongement de l’émission Cash Investigation.

Les médias lâchent Cash Investigation sur les 97%

La phrase « selon l’EFSA[1], 97% de nos aliments contiennent des résidus de pesticides » était la base du reportage de Cash Investigation et le leitmotiv de l’émission. Au point que Martin Boudot, lors de l’émission, a affirmé que les 3% restant étaient des « produits bios ou à faible teneur en pesticides ». Ce qui est un contresens manifeste.
Science et Pseudo-Sciences (SPS), revue de l’AFIS[2] (voir ici), et quelques autres dont ForumPhyto (voir ici), ont clairement dénoncé cette erreur et ce contresens. Plusieurs médias ont compris l’importance de cette dénonciation et l’ont reprise à leur compte.
Libération, dans sa rubrique Désintox, titre « Pesticides : le chiffre bidon de Cash Investigation » et met en pièce l’argument-clef de l’émission. Pour autant, Libération ne remet pas en cause « l’ensemble de l’enquête » et termine en assimilant pratiquement l’AFIS et Agriculture & Environnement au lobby du « tout pesticide ».
Sous le titre « la rumeur court toujours… », l’AFIS a d’ailleurs renouvelé ses éclaircissements à ce sujet.

Le Républicain titre « Emission de Cash investigation sur les pesticides : un « message trompeur et alarmiste » ? »
Le café pédagogique titre « France 2 aurait-il bidonné son Cash investigation ? »
Sous le titre « Pesticides : « Cash Investigation » se prend les pieds dans le tapis », l’OJIM[3], peu suspect de complaisance envers « l’industrie des pesticides », évoque la « belle dose de mauvaise foi » dont fait preuve Cash Investigation dans ses réponses sur l’« erreur grossière qui dessert un sujet pourtant légitime ». Selon eux, cette émission « nous avait habitués à plus de sérieux… ». Nous pourrions rajouter : « Quoique… ».
Rendant compte de la marche blanche de Bordeaux, France 3 Aquitaine rend compte de la position de l’AFIS et dénonce aussi cette transformation des propos de l’EFSA par Cash Investigation.

Des critiques plus fondamentales sur Internet

Dans « Cash investigation, ou Cash mystification ? », Anton Suwalki, blog imposteurs, dénonce la déontologie à géométrie variable de France2 : « Comment la direction de France Télévisions, si pointilleuse sur le « cas Philippe Verdier » pour un livre qui, finalement, n’engageait que lui-même, peut-elle laisser passer une telle entreprise de désinformation et de manipulation délibérées sur ses propres ondes ? La moindre des choses serait de diffuser un rectificatif aux « erreurs » les plus manifestes de ce documenteur. La crédibilité du « service public d’ information » est en jeu. On attend avec beaucoup impatience votre réaction, madame Ernotte ! »

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Dans « Cash Investigation » ou 97 % de « cash obstination », Seppi dénonce le mensonge des 97%, mais surtout il analyse en profondeur les contorsions de Cash Investigation pour tenter de justifier ce mensonge, et les attaques injustifiées contre l’AFIS que Cash Investigation fait pour détourner l’attention.

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Sur Tak.fr, François Miclo titre « Elise Lucet, victime des pesticides ? ». Sa conclusion : « En répétant à plusieurs reprises dans son émission du 2 février que « 97 % de nos aliments contiennent des résidus de pesticides », c’est une fausse information qu’Élise Lucet a propagée : l’info sur l’intox était de l’intox. […] Nul donc ne reprochera à Élise Lucet de s’être trompée et, partant, de nous avoir trompés. On la blâmera cependant d’avoir utilisé la trompette du malheur et de la peur pour rallier le public à un mot d’ordre tapageur. Intituler une émission « Produits chimiques : nos enfants en danger », ce n’est plus de l’information ni du journalisme ; c’est du mauvais tapin. Or, si l’on peut tranquillement s’adonner à ce genre d’activités dans les profondeurs les plus reculées de la TNT, là où les soirs de pleine lune Illuminati et Reptiliens se socratisent mutuellement en fomentant le Grand Complot Mondial, on les pratique moins sûrement sur la grande chaîne d’un service que nous voulons croire encore public. Encore public et sérieux. »

Sur Contrepoints, Marcel Kuntz titre « Cash Investigation ou Cash Désinformation ? ». Il y montre les stratagèmes de Cash Investigation pour quasiment censurer le chat qu’elle organise… Il répond à Martin Boudot sur les accusations concernant l’AFIS (et concernant également Marcel Kuntz). Il conclut « La lumière doit aussi être faite en cas d’entorse grave à la déontologie journalistique. Une enquête sera-t-elle diligentée sur les autres points discutables de ce reportage de Cash Investigation ? De manière plus générale sur cette « fabrique de buzz pour servir une frénésie de l’audimat » ? On peut en douter. »

Rémi Dumery, agriculteur, bloggeur et hyper connecté, interviewé par Terre-net.fr, fait part de son ressenti : «  « Ce type d’émission est du terrorisme médiatique » ». Se déclarant « incapable physiologiquement de regarder cette émission », il prône la prévention : « Il faut donner à nos concitoyens les capacités à douter sur ce type d’événements, qui l’amèneront à vérifier les informations, seule voie d’équilibre dans notre société connectée. »

Dans « « Cash Investigation » : « Crache désinformation » sur les cancers des enfants », Seppi démonte une manipulation de plus de Cash Investigation. Manipulation directement et ouvertement inspirée de Générations Futures, ONG anti-pesticides par principe et championne des prélèvements de cheveux. Le jugement de Seppi est sévère, mais malheureusement justifié : « Difficile de faire plus obscur et plus débile ! On mélange allègrement cancers et leucémies. On saute de l’un à l’autre… Le risque relatif est exprimé en pour cent… Et, bien sûr, il n’y a aucun lien établi avec la viticulture et l’utilisation de produits phytosanitaires. C’est une illustration de l’extraordinaire manque de maîtrise du sujet, ainsi que de la volonté de faire prévaloir une idéologie. » Quant aux analyses sur cheveux, elles n’ont aucune signification et quand on regarde de près les chiffres avancés par Cash Investigation, on ne peut qu’être effarés des contradictions avec leurs propres conclusions.

Ce que devraient faire les journalistes de Cash Investigation, ou plutôt leurs téléspectateurs, c’est regarder cette vidéo : « Comment vérifier rapidement une information sur internet – Raisonnance ». Le premier conseil : se méfier du dualisme abusif et de la simplification. « La réalité est complexe » et une situation « qui se résume à une opposition entre des gentils d’un côté et des méchants de l’autre n’existe globalement jamais. » idem entre « nature » et « méchants produits chimiques » ou entre « irréprochable agriculteur bio » et démoniaque Monsanto. »
1602DualismeSeMefier

Enfin, Science et Pseudo-Sciences prévoit un article d’analyse complète de l’émission dans les prochains jours.

Bref, en lieu et place de Cash Investigation, on n’a que l’embarras du choix : Crache désinformation, Cash Intoxication, Cash obstination, Cash mystification… Vous avez une autre proposition ?

[1] Agence européenne de sécurité alimentaire

[2] Association Française pour l’Information Scientifique

[3] Observatoire des journalistes et de l’information médiatique