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Carrefour et ses fraises « sans pesticides » : Mensonge par omission et faute morale

24 mai 2016

 La revue Challenges ne tarit pas d’éloges pour « Carrefour [qui] prend goût à l’alimentation saine » : « le distributeur met en rayon des fraises garanties sans pesticides ». Sans pesticides, vraiment ? Dans quels buts ?

Selon Challenges, « Dans un rapport de 2013, la Direction générale de l’alimentation a relevé que, dans un cas sur quatre, les producteurs ne respectent pas les règles en vigueur sur les pesticides. Une aubaine pour Carrefour qui, grâce à sa puissance de feu, a pu prendre de court la concurrence, et replacer la guerre des enseignes autour d’un sujet plus constructif que celui des prix ». Carrefour serait-il donc un redresseur de torts contribuant à mettre les producteurs dans le droit chemin et à instaurer une guerre constructive entre enseignes ?

Carrefour utilise les réseaux sociaux pour vendre une image naturelle, à base de purin d’ortie ou d’ail et d’huiles essentielles.
Voir https://twitter.com/CarrefourFrance/status/731129468660686849
Dans « Télé-Matin », France 2 encense la démarche.

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Un peu de fact checking…

  • Selon la DGAl, dans un cas sur quatre, les producteurs ne respecteraient pas les règles ? Voire.
    D’une part, dans « Des rapports cachés à la DGAL : silence, on manipule ?», nous mentionnions que « l’hypothèse la plus vraisemblable est que le rapport (montrant un taux anormalement élevé de non-conformités) […] concerne des contrôles « ciblés », c’est-à-dire volontairement orientés vers des producteurs soupçonnés de fraude.. »
    D’autre part, en décembre 2013, Patrick Dehaumont, DGAl, expliquait que « la contamination   vient peut-être des plants qui ont été importés de pays tiers » (voir ici).
    Même si la communication de la DGAl était au moins maladroite, elle n’a JAMAIS dit que, «  dans un cas sur quatre, les producteurs ne respectent pas les règles ».
    Toute cette communication fait fi des efforts des producteurs et de leurs organisations, et des cahiers des charges qu’ils s’imposent. Cahiers des charges qui offrent toutes les garanties nécessaires.
  • Les producteurs sous contrat Carrefour n’utiliseraient pas de pesticides ? Faux.
    La mention « sans pesticides de synthèse de la fleur à l’assiette» est bien discrètement mentionnée en début de la vidéo tweetée par Carrefour. Mais  n’est jamais reprise dans la communication presse. Et jamais Carrefour n’a démenti ou ne serait-ce que préciser que son cahier des charges autorise explicitement l’emploi de pesticides de synthèse avant floraison. Or les phases les plus sensibles aux attaques d’insectes concernent justement la période avant floraison. C’est un mensonge par omission caractérisé.
  • Plus cher à produire, mais au même prix en rayon ? Cherchez l’erreur. Dans la communication média (par exemple dans le Télé-Matin déjà mentionné), il est clairement indiqué qu’il y a un coût supplémentaire pour le producteur, mais Carrefour propose ces fraises « au même prix que celles issues de l’agriculture conventionnelle ». Il faut également prendre en compte les frais logistiques supplémentaires (étiquetage, traçabilité…) du fait que cette production est relativement marginale. Cette contradiction mériterait sans doute plus d’explication.
  • L’agroécologie, c’est « sans pesticides » ?
    Les seuls pesticides mentionnés sont « purin d’ortie, jus d’ail et huiles essentielles à base de cannelle et de girofle ». Cette réduction de l’agroécologie à l’absence d’utilisation de pesticides de synthèse est pernicieuse.
    C’est avant tout simplificateur. La protection des plantes conforme à l’agroécologie, c’est de l’agronomie, de la prévention, de l’observation, des moyens manuels, mécaniques ou de biocontrôle, ET une utilisation raisonnée des pesticides.
    Cela laisse supposer une dualité manichéenne entre pesticide de synthèse (à proscrire) et pesticide naturel (naturellement inoffensif) qui n’a aucune justification scientifique. L’important est l’évaluation des bénéfices et des risques liés à l’utilisation d’une substance, pas son origine.
    – Cela introduit une défiance injustifiée envers la réglementation française et européenne qui est particulièrement protectrice de l’environnement et de la santé humaine.
    – Cela entretient inutilement les peurs chez le consommateur, au lieu de faire preuve de pédagogie.

Faire de la communication sur le « sans pesticides » est sans doute perçu comme une « aubaine » par Carrefour. Mais contrairement à ce qu’avance Challenges, c’est au moins aussi destructeur que la guerre des prix.
Au lieu de se lancer dans une course pernicieuse et sans fin, Carrefour devrait plutôt engager un réel dialogue avec les producteurs.