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Les pesticides provoquent-ils vraiment des cancers chez les agriculteurs ?

21 juin 2016

Résumé :
D’après le consensus scientifique actuel, les agriculteurs ont globalement un risque de cancer largement inférieur au reste de la population, mais quelques cancers sont significativement surreprésentés chez eux. Ce consensus ne concerne toutefois que la fréquence de ces cancers (prévalence ou incidence). Les résultats sur la mortalité sont beaucoup moins clairs.
Pour des raisons que nous rappelons dans notre texte, les études dites de cohorte prospective sont les seules à pouvoir fournir des résultats fiables. La cohorte française AGRICAN n’a à ce jour observé aucune surmortalité par cancer chez les agriculteurs. Pour la cohorte américaine AHS, le dernier bilan de mortalité qui fait référence est exprimé de façon très ambigüe : les auteurs n’ont observé aucune surmortalité, pour aucune localisation de cancer, avec l’indicateur le plus habituel, le Standardized Mortality Ratio (SMR). Ils présentent toutefois les résultats d’un autre indicateur peu usité, le relative Standardized Mortality Ratio (rSMR), selon lequel les applicateurs de pesticides auraient par contre des surmortalités relatives significatives pour la majorité des types de cancer. Mais ce résultat semble parfaitement normal : comme le montrent les SMR, les applicateurs de pesticides ont des mortalités encore plus réduites pour les pathologies non cancéreuses que pour les cancers. Si les applicateurs de pesticides ont un rSMR supérieur à 1 pour les cancers, ce n’est donc pas parce qu’il y a un excès de cancers chez eux : c’est parce que leur déficit en cancers est inférieur au déficit des autres maladies. Leur mortalité ABSOLUE par cancer reste néanmoins inférieure de 39% (SMR = 0,61) par rapport au reste de la population.

Il n’y a donc aucun résultat démontrant de façon convaincante une surmortalité par cancer chez les agriculteurs, même pour les cancers considérés comme surreprésentés chez eux. C’est la conclusion clairement énoncée dans une synthèse bibliographique réalisée pour l’EFSA, a contrario de l’expertise collective de l’INSERM qui ne se prononce pas clairement, mais met plutôt en avant les rSMR obtenus dans l’AHS.

Cette absence de surmortalité (selon l’EFSA) devrait inciter à réexaminer les excès de prévalence observés dans les mêmes cohortes. En effet, l’explication la plus simple de ces discordances entre incidence et mortalité des cancers serait qu’il y a un meilleur dépistage précoce des cancers chez les agriculteurs. Il serait important que l’INSERM se saisisse de cette question en indiquant clairement son avis sur l’existence ou non de surmortalité par cancer chez les agriculteurs, et sur les causes de ce meilleur pronostic apparent chez eux.

Intégralité de l’article

Nous avons déjà souligné dans un article précédent les hypothèses fantaisistes de l’analyse coût-bénéfices des pesticides publiée récemment par l’INRA[1]. Une note de l’Académie d’Agriculture[2], et un  article de l’AFIS[3] ont également détaillé les nombreuses critiques que l’on peut formuler contre ce travail. Mais cette publication avait au moins un mérite, même s’il était involontaire : elle mettait en évidence la fragilité de certaines des accusations formulées contre les pesticides. Une des questions les plus importantes soulevées par l’analyse de Bourguet et Guillemaud était l’évaluation du nombre de décès par cancers liés à l’exposition aux pesticides. Nous reviendrons ici sur le cas des agriculteurs, qui devraient a priori être les plus exposés à ce risque.

Le bruit de fond médiatique donne souvent l’impression que les agriculteurs sont une population particulièrement exposée au cancer. En fait, l’avis des épidémiologistes est nettement plus nuancé, et fait maintenant l’objet d’un consensus scientifique clair : les agriculteurs sont globalement moins sujets au cancer que la population générale, mais quelques cancers sont néanmoins surreprésentés chez eux (pour l’essentiel, des cancers des cellules sanguines, et probablement aussi le cancer de la prostate, même si les résultats sont plus contradictoires pour ce dernier). Il faut toutefois noter que ces résultats concernent la prévalence de ces cancers, c’est-à-dire leur fréquence dans la population. Qu’en est-il de la mortalité qui en résulte ? Pour bien comprendre que la réponse n’est pas forcément identique pour la mortalité, il faut revenir aux définitions de base de l’épidémiologie.

Incidence, prévalence et mortalité

Pour mesurer l’importance d’une maladie grave dans une population, on peut s’intéresser à deux aspects :

  • Sa fréquence, qui peut être mesurée par sa prévalence (la proportion d’individus malades dans la population à un instant t), ou son incidence (le nombre de nouveaux cas déclarés pendant un an). Ces deux indicateurs sont ceux qui mesurent le mieux l’impact social de la maladie étudiée. Comme ils reposent sur le diagnostic, ils ont l’inconvénient d’être sensibles à l’évolution des méthodes de diagnostic et des campagnes de dépistage. Cela crée des biais quand on étudie leur évolution dans le temps (l’incidence apparente des cancers est augmentée artificiellement chaque fois que les méthodes de diagnostic progressent). Cela peut aussi en créer quand on compare des populations pour lesquelles le suivi médical est différent.
  • Sa mortalité, c’est-à-dire la proportion de personnes qui en meurent. La mortalité a l’avantage d’être moins sensible au diagnostic. Par contre, elle est influencée par les progrès des soins : elle peut baisser sans que la maladie soit devenue moins fréquente, si les traitements curatifs sont devenus plus efficaces. De plus, elle présente d’autres difficultés d’interprétation, dues au fait que nous mourons tous une fois et une seule (et que les études de mortalité ne retiennent en général que la maladie déclarée comme cause principale du décès, alors qu’une personne peut être atteinte de plusieurs maladies en même temps).

Ne pas fumer provoque-t-il des cancers du côlon ?

Comme le simple mot « pesticides » tend à orienter la réflexion, commençons par un exemple moins controversé : celui du tabac. Il est reconnu que fumer augmente très fortement le risque de cancer du poumon, qui est une cause de mortalité majeure. Si vous ne fumez pas, vous avez beaucoup moins de risque de mourir de ce cancer, et vous vivrez probablement plus longtemps, mais ne nous leurrons pas : votre probabilité de mourir un jour reste de 100%… mais vous décéderez plus probablement d’une autre maladie, non influencée par le tabac. Si on étudie a posteriori les causes de mortalité des non-fumeurs, on va donc trouver qu’ils meurent plus fréquemment du cancer du côlon (par exemple) que les fumeurs. Va-t-on en conclure que ne pas fumer provoque le cancer du côlon ? Bien sûr que non ! Dans ce cas, on comprend bien que l’excès apparent de cancer du côlon est dû au fait que, chez les fumeurs, une partie des cancers du côlon potentiels est masquée par les décès prématurés dus au cancer du poumon. Et on comprend facilement que cet effet de « masquage » ne va pas être identique pour toutes les maladies : il va être plus marqué pour les maladies très liées au grand âge, comme la maladie d’Alzheimer, que pour des maladies qui apparaissent avant ou en même temps que les cancers du poumon provoqués par le tabac.

Il est donc compliqué de comparer l’importance relative des causes de mortalité a posteriori, entre deux populations qui ont des causes de morbidité bien différentes : pour redresser l’effet de masquage que nous avons évoqué, il faudrait des modèles dynamiques prenant en compte les dynamiques d’évolution normales des différentes pathologies étudiées, or de tels modèles n’existent pas actuellement. Notons d’ailleurs que ce problème n’est pas que théorique : il a été observé que la maladie de Parkinson est significativement moins fréquente chez les fumeurs. Est-ce dû au fait que le tabac protège de cette maladie ? C’est possible, car on a constaté que la nicotine a des effets neurologiques qui pourraient être antagonistes de la maladie de Parkinson. Reste que la liaison négative entre Parkinson et tabac est sans doute aussi en partie due à cet effet de masquage du Parkinson par le cancer du poumon… dans une proportion qui n’a jamais été élucidée !

Ce phénomène de compensation des causes de mortalité a des conséquences importantes sur le choix des dispositifs expérimentaux utilisables en épidémiologie. Toute étude rétrospective[4] travaillant uniquement sur le cancer du côlon va trouver une surmortalité chez les non-fumeurs. Seule une étude de cohorte prospective[5], examinant toutes les causes de mortalité chez les non-fumeurs et les fumeurs, va permettre de comprendre les raisons de cet excès apparent de cancer du côlon chez les non-fumeurs.

Prévalence des cancers : un consensus clair

Revenons maintenant au cas des pesticides. Nous l’avons déjà signalé, il y a maintenant un consensus scientifique clair sur la prévalence des différents types de cancer chez les agriculteurs[6]. Globalement, les agriculteurs sont nettement moins sujets au cancer que la population générale, en particulier pour les cancers des voies respiratoires et digestives. Mais quelques formes de cancer sont par contre plus fréquentes chez eux. L’expertise collective de l’INSERM considère que 8 localisations de cancers sont associées à l’exposition aux pesticides : prostate, testicule, mélanomes malins et tumeurs cérébrales, et quatre formes de cancer des cellules sanguines ou de la moelle osseuse (lymphomes non hodgkiniens, leucémies, myélomes multiples, maladie de Hodgkin). Les deux plus grandes cohortes mondiales sur ce sujet, la cohorte américaine AHS et la française Agrican donnent à ce sujet des résultats globalement assez cohérents. La différence la plus notable concerne le cancer de la prostate, un des plus surreprésentés chez les agriculteurs dans la cohorte américaine (+19% en incidence)[7], alors que ce n’est pas le cas dans Agrican[8]. La revue bibliographique de l’EFSA considère, contrairement à l’INSERM, que le niveau de preuve des résultats concernant le cancer de la prostate est insuffisant[9]. De façon générale, les auteurs de la synthèse EFSA retiennent les mêmes pathologies que les experts de l’INSERM, mais sont beaucoup plus réservés sur la valeur scientifique des travaux cités.

Les mortalités liées aux pesticides : des résultats surprenants

Qu’en est-il pour la mortalité ? Sur ce sujet, la situation est beaucoup moins claire. Dans la cohorte Agrican, on n’observe pas pour l’instant de surmortalité pour aucun type de cancer8. Toutefois, cette cohorte a été créée assez récemment (2005), ces résultats ne sont donc que provisoires. Par contre, la cohorte américaine AHS ayant été recrutée à partir de 1993, ses résultats sur la mortalité commencent à être fiables… et ils sont un peu inattendus ! Un inventaire des causes de mortalité sur la période 1993/2007 a été publié en 2010[10]. Les résultats des mortalités par cancer ont été exprimés dans un premier temps avec l’indicateur habituel dans ce type d’études, le standardized mortality ratio (SMR)[11]. On y voit sans surprise que la mortalité globale par cancer des applicateurs de pesticides est très significativement inférieure à celle de la population générale (SMR de 0,61).  Plus surprenant, on retrouve ce résultat pour presque toutes les localisations de tumeurs, y compris celles trouvée plus fréquentes dans les études d’incidence ! Parmi les 30 localisations de tumeurs distinguées dans cette étude, le SMR des applicateurs de pesticides est inférieur à 1 pour 25 d’entre elles, significativement pour 13 d’entre elles. C’est le cas même pour les cancers dont l’incidence était plus élevée que dans la population générale. Aucun d’entre eux n’a un SMR significativement supérieur à 1. Le cas le plus intrigant est celui du cancer de la prostate : alors que son incidence était supérieure de 19% chez les applicateurs de pesticides, la mortalité reste inférieure de 19% précisément ! De même, pour l’autre cancer le plus surreprésenté dans la cohorte, le myélome multiple, le SMR est parfaitement normal (1,01).

Bien entendu, les auteurs ne pouvaient en rester là. Ils ont donc calculé ensuite un second indicateur, le relative standardized mortality ratio (rSMR). Dans cet indicateur, on calcule pour chaque maladie le pourcentage de personnes qui en sont mortes dans chaque population, et on fait le rapport de ces pourcentages dans les deux populations comparées. Par exemple, si 11% des agriculteurs décédés sont morts d’une maladie donnée, contre 10% dans le reste de la population, le rSMR sera de 1,1 (11%/10%) pour  cette maladie. Avec cet indicateur, les résultats sont beaucoup plus politiquement corrects[12] : les applicateurs de pesticides ont en moyenne un rSMR de 1,20 (significatif) pour l’ensemble des cancers. Dans le détail, on trouve un rSMR supérieur à 1, souvent significatif, pour presque tous les cancers, à l’exception des cancers des voies respiratoires : ce dernier résultat est logique, car on sait bien que la majorité de ces cancers respiratoires sont causés par le tabac, or les agriculteurs fument moins que la population générale.

Nous voilà donc avec un indicateur, le SMR, d’après lequel les applicateurs de pesticides n’ont aucun cancer en excès par rapport au reste de la population. Et un autre, le rSMR, pour lequel ils ont un excès de cancer pour presque toutes les localisations de tumeurs ! Quel résultat est le bon ?

Les auteurs se gardent bien de trancher, mais le texte est clairement formulé pour laisser penser que le rSMR est le résultat le plus valide, sans jamais le démontrer objectivement. On est dans un procédé plus journalistique que scientifique. Pour introduire les résultats du tableau 5, les auteurs écrivent « The rSMR analysis for cancer mortality identified some aspects that were potentially masked in the SMR analysis”, ce qui laisse entendre que les SMR nous cachent une information importante. Dans la discussion, ils insistent longuement sur les précautions à prendre dans l’interprétation des SMR : “SMR analyses are useful to assess the disease experience of a population relative to a general population; however, this strategy has some inherent limitations”, mais sans rappeler que le rSMR pose encore plus de difficultés d’interprétation. La conclusion laisse également penser que les rSMR sont un indicateur plus pertinent : ” The cohort experienced a lower mortality rate overall when compared with the general population. After adjusting for the lower mortality of the cohort, we observed relatively higher rates of death among applicators from lymphohematopoietic cancers, melanoma, and malignancies of the digestive system, prostate, kidney, brain, thyroid, eye, and ovary”. Là encore, le terme « adjusting » laisse penser que le rSMR est un résultat plus valide que le SMR, car redressé pour éliminer un biais, qui serait la différence de mortalité entre la population des agriculteurs et la population générale. Mais s’agit-il vraiment d’un biais ? La mortalité plus basse observée chez les applicateurs de pesticides est tout-à-fait cohérente avec l’incidence plus basse de la plupart des pathologies, et avec le fait reconnu depuis longtemps que les agriculteurs ont une espérance de vie plus élevée que la moyenne[13]. On ne voit donc pas pourquoi il fallait faire ce redressement, et d’ailleurs les auteurs ne le justifient nullement. Revenons à notre exemple des non-fumeurs : si on calculait leurs rSMR par rapport à la population générale, nous aurions exactement le même type de résultats : ils auraient un rSMR très inférieur à 1 pour le cancer du poumon, et supérieur à 1 pour toutes les autres causes de mortalité non impactées par le tabac. Bien entendu, personne ne s’est amusé à faire ce calcul, car le fait de ne pas fumer n’est pas considéré comme un facteur de risque. Or, nous sommes ici dans le même type de situation : la population étudiée (les applicateurs de pesticides) est en meilleure santé que la population générale, et cela pour la plupart des facteurs de mortalité importants ! Il ne faut donc pas s’étonner d’obtenir des résultats apparemment paradoxaux. Nous avons vu que le rSMR de l’ensemble des cancers était de 1,20, alors que le SMR était de 0,61. Cela s’explique facilement quand on regarde les autres causes de mortalité : le déficit de mortalité chez les agriculteurs est encore plus fort pour les pathologies non cancéreuses (tableau 3 de Waggoner et al. : SMR de 0,54 pour les maladies cardiaques, 0,38 pour les maladies respiratoires, 0,39 pour celles de l’appareil digestif, etc…) Si les applicateurs de pesticides ont un rSMR supérieur à 1 pour les cancers, ce n’est donc pas parce qu’il y a un excès de mortalité par cancers chez eux : c’est parce que leur déficit en cancers est inférieur au déficit des autres maladies !

Tout indique donc que ce sont les SMR qui sont dans ce contexte l’indicateur le plus fiable. On se demande d’ailleurs pourquoi les auteurs ont ressorti  des tiroirs un indicateur aussi difficile à interpréter, et aussi rarement utilisé, que le rSMR. Il faut donc se rendre à l’évidence : aucune des deux grandes études de cohorte prospective mondiales n’a mis en évidence de surmortalité par cancer chez les agriculteurs. Or ce type de cohorte est le dispositif expérimental réputé le plus fiable pour ces études. Certaines études ont identifié des surmortalités par cancer significatives. Toutefois, il s’agit d’études rétrospectives, dont nous avons vu sur l’exemple du tabac qu’elles sont facilement biaisées par la composition du groupe témoin.

Compte tenu de ces résultats, quel est l’avis des grandes expertises de référence ?  L’expertise collective INSERM a une ligne plutôt flottante sur ce sujet :

  • Dans le cas du lymphôme non hodgkinien, elle a retranscrit presque tels quels les résultats de Waggoner et al : les experts indiquent que la mortalité ne montre pas de différence significative avec le témoin, mais précisent à propos du passage à des indices relatifs et standardisés : « En procédant de la sorte, un excès de risque significatif de survenue de LNH de même qu’une augmentation statistiquement significative des décès dus à ces lymphomes ont été observés »[14]. Au lecteur de se faire son opinion…
  • Pour le myélome multiple, l’expertise collective incite moins à la réflexion, puisqu’elle ne cite que les résultats du rSMR (+89% de mortalité), en omettant carrément de signaler que le SMR était parfaitement normal (1,01).
  • Pour le cancer de la prostate, elle fait carrément l’impasse sur les étranges résultats de mortalité de l’AHS (sans avoir oublié par contre de rappeler les +19 % d’incidence dans cette cohorte)

La synthèse bibliographique de l’EFSA a émis un avis plus tranché et plus clair. Elle conclut, sur l’ensemble des études réalisées entre 2006 et 2012, que les résultats ne montrent aucune tendance de liaison entre exposition aux pesticides et mortalité[15].

Retour sur la prévalence des cancers surreprésentés chez les agriculteurs

Il est donc clair qu’à ce jour, aucune étude de cohorte prospective n’a montré un excès de mortalité par cancer associé à l’exposition aux pesticides, même parmi les cancers considérés comme surreprésentés chez les agriculteurs. Or ce dispositif expérimental est réputé comme étant le plus fiable. Cela nous incite donc à revenir sur les résultats de prévalence ou d’incidence : comment se fait-il que certains cancers soient plus fréquents chez les agriculteurs que dans le reste de la population, mais ne provoquent pas de surmortalité ? Qu’est-ce qui peut expliquer ce pronostic plus favorable chez les agriculteurs ?

On peut envisager a priori trois hypothèses :

  • Il n’y a aucune différence de diagnostic des cancers entre les agriculteurs et la population générale, mais les agriculteurs sont mieux soignés : ce serait tout de même un peu surprenant, sauf à supposer que les hôpitaux des régions rurales sont plus performants que ceux des zones urbaines
  • Il n’y a aucune différence de diagnostic des cancers entre les agriculteurs et la population générale, mais les agriculteurs résistent mieux au cancer, à gravité égale: un peu surprenant aussi, mais pas impossible. Les agriculteurs combinent 2 facteurs favorables à une meilleure guérison des cancers : ils fument moins que la moyenne, et leur métier implique une bonne activité physique. Reste qu’un effet positif de ces deux facteurs a été observé pour le cancer de la prostate (ce qui pourrait d’ailleurs expliquer d’ailleurs la discordance particulièrement forte entre incidence et mortalité pour ce cancer dans l’AHS), mais pas, à notre connaissance, pour les autres cancers réputés excédentaires chez les agriculteurs.
  • Reste une troisième hypothèse toute simple : un biais de diagnostic, qui pourrait être dû à la fois au fait que les médecins du travail du monde agricole considèrent les agriculteurs comme une population à risque, et que les agriculteurs eux-mêmes, sensibilisés au danger des pesticides, tendraient à consulter plus tôt en cas de soupçon de cancer. Cela pourrait expliquer à la fois une incidence apparemment plus élevée, et un meilleur pronostic, car leurs cancers seraient en moyenne diagnostiqués plus tôt. Dans ce cas, cela voudrait dire aussi qu’une partie de l’excès d’incidence attribué à ces cancers ne serait qu’une apparence due à un dépistage plus précoce.

Bien entendu, ces trois hypothèses ne s’excluent pas forcément, il est possible qu’elles se combinent (dans des proportions qui restent à déterminer), pour expliquer le meilleur pronostic apparent des cancers surreprésentés chez les agriculteurs. Dans l’état actuel des connaissances scientifiques, une analyse quantitative plus approfondie du stade d’avancement des cancers au moment de leur détection serait nécessaire pour y voir plus clair, en particulier pour départager nos deux dernières hypothèses. Il serait donc souhaitable  que l’INSERM et l’EFSA se saisissent du problème de cette discordance entre prévalence et mortalité, et proposent des pistes de recherche pour l’expliquer.

Philippe Stoop, docteur- ingénieur en agronomie, directeur Recherche et Innovation de la société iTK

[1]                              http://www.researchgate.net/publication/295813785_The_hidden_and_external_costs_of_pesticide_use._Sustainable_Agriculture_Reviews_19_35-120

[2]                           Boussard JM. 2016. A propos des coûts externes des pesticides, N3AF, 1, 1-7. Disponible sur : www.academie-agriculture.fr/…

[3]                           http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article2647

[4]                           Etude épidémiologique dont les participants sont recrutés après apparition des symptômes.

[5]                           Etude dont les participants sont recrutés en bonne santé, et suivis pour mesurer la prévalence et/ou la mortalité des maladies qui les frappent

[6]                           http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article2602

[7]                           http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3052640/

[8]                           http://cancerspreventions.fr/wp-content/uploads/2014/12/AGRICAN.pdf

[10]                        http://aje.oxfordjournals.org/content/173/1/71.long

[11]                        http://aje.oxfordjournals.org/content/173/1/71/T4.expansion.html

[12] http://aje.oxfordjournals.org/content/173/1/71/T5.expansion.html

[13] http://www.inegalites.fr/spip.php?article377&id_mot=129

[14]                        http://www.inserm.fr/actualites/rubriques/actualites-societe/pesticides-effets-sur-la-sante-une-expertise-collective-de-l-inserm , pages 24-25

[15]                        « Literature review on epidemiological studies linking exposure to pesticides and health effects », Evangelia E.Ntzani et al. External scientific report, EFSA, page 93