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Arrêté phyto : ménager l’environnement ou les environnementalistes ?

28 oct. 2016

Le débat a fait rage autour des modalités d’application des produits phytosanitaires. L’arrêté du 12 septembre 2006 fixait une vitesse maximum de vent, des délais de ré-entrée après traitement (DRE), des délais d’emploi avant récolte (DEAR), des zones de non-traitement (ZNT), etc. Le Conseil d’Etat a annoncé a prononcé en juillet 2016 l’abrogation de cet arrêté dans les 6 mois. Les pouvoirs publics voulaient travailler dans l’urgence pour publier un arrêté le remplaçant. Ils semblent revenir à la raison. Quels sont les enjeux ?

Bref historique

Dès sa publication, et bien que partageant pleinement l’objectif de santé publique, les producteurs de pommes, par leur association (ANPP), alertaient sur l’inapplicabilité de fait de l’arrêté du 12 septembre 2006.
Pour le démontrer, ils ont mis en place un verger témoin. Résultat : « le respect strict de l’arrêté aboutissait inévitablement à une perte totale de la récolte », y compris dans le cadre du cahier des charges de l’agriculture biologique. L’arrêté du 12 septembre 2006 est bel et bien inapplicable.

Après des contacts répétés avec l’administration pour faire évoluer le texte dans un sens plus réaliste, l’ANPP s’est vue contrainte de faire appel au Conseil d’Etat, qui, constatant que l’arrêté n’avait pas été notifié à Bruxelles, l’a donc invalidé.

Bien d’autres points de l’arrêté étaient contestables et contestés, notamment la disproportion entre le but poursuivi et les moyens employés et la distorsion introduite avec les autres Etats Membres de l’Union Européenne.

Un projet encore plus inapplicable ?

Dès la décision du Conseil d’Etat, l’ANPP et les organisations syndicales ont clairement compris que, du fait d’une très grande pression environnementaliste, le risque est que le nouvel arrêté soit encore plus contraignant que celui de 2006.

Les ONG environnementalistes, relayées au sein du gouvernement par le Ministère de l’écologie, réclament non seulement que les dispositions du précédent soient maintenaues, mais que, de plus, on élargisse les zones de non traitement, et qu’elles concernent non seulement les cours d’eau , mais aussi les fossés, les propriétés adjacentes, etc.

Dans « La réglementation sur les pesticides risque fort d’être allégée », même si son cœur va aux organisations favorables à un durcissement réglementaire, Reporterre, média environnementaliste s’il en est, fait une analyse détaillée et assez complète de l’état du débat.

Selon la FNSEA, « ce serait 4 millions d’hectares de cultures, l’équivalent de 7 milliards d’euros de chiffre d’affaires, qui disparaîtraient en pleine crise agricole ».

La demande des Organisations agricoles

Dans « la cause des paysans », le président de l’ANPP a expliqué les quatre obligations que doit satisfaire le nouveau texte réglementaire : « Protéger l’environnement et les personnes tout en préservant les terres agricoles et la compétitivité des agriculteurs français. »

Adopter un texte inapplicable signifierait à la fois la ruine de beaucoup d’exploitations et n’aurait aucune utilité pour la protection de l’environnement et des riverains.

La FNSEA s’est fortement mobilisée pour expliquer l’important risque économique que serait l’établissement de nouvelles « ZNT » (par rapport aux cultures adjacentes, riverains…).

Les organisations agricoles des régions viticoles, particulièrement touchées par l’éventualité d’une ZNT par rapport aux riverains, ont été particulièrement mobilisées. Voir par exemple la lettre ouverte du président de la CNAOC (Vins d’appellation) au ministre de l’agriculture. Il accuse l’e projet d’arrêté d’« exacerber les tensions » au lieu de les résoudre. Ou encore cet article de France3 Bourgogne à qui Alain Suguenot, député maire, déclare : « Cela est intolérable pour nos viticulteurs qui comprennent d’autant moins cette mesure, qu’au-delà de pertes de productivité, ses effets sur l’environnement seront à prouver »

La Coordination Rurale, syndicat minoritaire, a annoncé publiquement vouloir combattre avec force le projet d’arrêté.

Des députés et sénateurs ont multiplié les questions au gouvernement. Ils insistent tous sur les distorsions de concurrence avec le reste de l’UE, la perte de surface de cultures, et la contradiction avec la volonté de simplification administrative affichée par le gouvernement.

Depuis quelques jours, les réponses du gouvernement, généralement de Stéphane Le Foll, semblaient moins tranchantes, insistant sur le travail en cours au sein du comité de rénovation des normes en agriculture (Corena), sur la volonté de ne pas faire de « surtransposition » de la réglementation européenne, de « faire preuve de pragmatisme », sur la responsabilisation des acteurs ou encore « Jamais nous ne ferons des choix au détriment des agriculteurs. En même temps, jamais nous ne prendrons des décisions contre l’environnement » (Stéphane Le Foll, 13 octobre 2016)

Dernière minute : la voix de la raison ?

Face à cette mobilisation et comprenant l’importance de l’enjeu, les pouvoirs publics semblent vouloir (enfin) prendre le temps de la réflexion. Ségolène Royal a en effet adressé un courrier à Xavier Beulin, président de la FNSEA, annonçant, pour éviter tout vide juridique, être favorable « à la notification à la Commission européenne des dispositions de l’arrêté de septembre 2006 tout en poursuivant les discussions pour améliorer ces dispositions. »

La sérénité semble donc revenir. Le gouvernement se donne maintenant visiblement le temps d’une discussion de fond.

Rester vigilants

Si la position gouvernementale se confirme, il est probable qu’une étape importante sera la consultation publique sur une rédaction maintenue de l’arrêté du 12 septembre 2006.
Les agriculteurs devront rester vigilants pour faire valoir leur point de vue à cette occasion.

Les principaux arguments sont :
Un arrêté contenant des dispositions disproportionnées est une atteinte grave à l’économie agricole : perte de compétitivité, pertes de surface, distorsions de concurrence.
– Avec cet arrêté maintenu, les arboriculteurs et les viticulteurs se trouvent dans une situation critique : vitesse du vent et délais de ré-entrée étant les deux points les plus délicats. Seuls les arboriculteurs s’étaient mobilisés jusque-là. Les viticulteurs, soumis depuis 2 ans à une pression médiatique et réglementaire importante, devraient mieux prendre la mesure de ces enjeux.
Car l’arrêté « maintenu » est tout aussi inapplicable aujourd’hui qu’il y a 10 ans !
L’agriculture biologique, spécialement en maraîchage et en viticulture, serait tout autant touchée (même par un arrêté « maintenu ») que l’agriculture conventionnelle.
Les régions dont l’agriculture serait la plus touchée par un tel arrêté sont :
– a) les ceintures vertes des villes du fait d’un parcellaire éclatée et de la proximité de nombreuses habitations. A l’heure où les pouvoirs publics veulent développer l’agriculture de proximité
– b) les régions les plus bocagères avec habitat dispersé, avec des exploitations familiales et un parcellaire relativement plus éclaté. Les grandes plaines céréalières seraient moins impactées.
– Il est probable que de nouvelles définitions et un élargissement des ZNT resteront une demande de certaines ONG jusqu’au-boutistes (qui ne se rendent d’ailleurs pas compte que l’agriculture biologique serait également dans une situation critique). Dans une telle éventualité, toute l’agriculture est concernée.
– Répétons-le : L’objectif de protection de l’environnement et des personnes est sans conteste légitime. Mais les moyens employés par l’arrêté même « maintenu », sont inappropriés et inapplicables.
La discussion sur le fond permettra, espérons-le de prendre des mesures s’appuyant sur des données concrètes et scientifiquement validés, et pas sur ce qu’on croit être « l’opinion publique ». Au lieu de ménager les environnementalistes, il est temps que le gouvernement ménage l’environnement…

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