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L’agriculture de conservation avec glyphosate, championne de la biodiversité des sols

09 oct. 2017

1503MoleculeGlyphosate Résumé : Les agriculteurs ont manifesté récemment pour rappeler que le glyphosate est un outil important de gestion agro-écologique. Alors que certains présentent au contraire son utilisation comme une catastrophe écologique, une comparaison de systèmes de cultures menée pendant 14 ans par l’INRA démontre que le système de culture qui a permis la meilleure amélioration de la biodiversité des sols est l’agriculture de conservation, avec un usage raisonné des pesticides, devant le bio. Mais il faut bien fouiller dans les publications intermédiaires pour découvrir que du glyphosate a été utilisé dans cette modalité « agriculture de conservation ».

Depuis que Nicolas Hulot a annoncé qu’il s’opposerait à la prolongation de l’autorisation du glyphosate en Europe, les organisations agricoles ont rappelé que ce produit était largement utilisé par les agriculteurs engagés dans des démarches d’agro-écologie, et que l’interdire serait donc un contresens environnemental. Cet argument est tourné volontiers tourné en dérision par les écologistes, qui nous assurent que l’utilisation du glyphosate provoque au contraire une catastrophe écologique. Ces deux points de vue sont-ils incompatibles ? Curieusement, l’INRA a déjà publié des travaux qui permettraient de trancher ce débat… mais ne l’exprime pas très clairement.

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Fig 1 : un florilège de réactions sur les dangers du glyphosate dans Twitter. De quelle destruction des écosystèmes parle-t-on ?

 

Une étude de l’INRA aux résultats très clairs… à un détail près

Des chercheurs de l’INRA et d’AgroParisTech ont publié en 2014 un article de synthèse sur une comparaison de systèmes de cultures conduite pendant 14 ans sur une ferme expérimentale céréalière proche de Versailles[1].  Trois modes de cultures étaient comparés dans cet essai au long cours :

  • Agriculture conventionnelle
  • Agriculture biologique
  • Agriculture de conservation, c’est à-dire un mode de culture visant à préserver au mieux les sols (semis direct, présence d’un couvert végétal vivant continu,…), avec utilisation de pesticides seulement en cas de dépassement des seuils de nuisibilité des ennemis des cultures observés sur les parcelles.

La biodiversité des sols a été étudiée très finement sur les 3 systèmes de culture, et les résultats sont parfaitement clairs : l’agriculture de conservation est de loin le meilleur système pour préserver la biodiversité des sols. Nettement devant l’agriculture conventionnelle, mais aussi souvent supérieur à l’agriculture bio (et en tout cas jamais significativement inférieur au bio, à l’exception d’un résultat mineur sur lequel nous reviendrons). De plus, sa performance en terme d’empreinte culture[2] est légèrement meilleure que celle du bio, avec des rendements du blé de 68 q/ha en agriculture de conservation au lieu 62 en bio (à comparer quand même aux 93q/ha en conventionnel).

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Fig 2 : Biodiversité comparée des 3 modes d’agriculture étudiés : conventionnel (en bleu), bio (en jaune), et agriculture de conservation (en vert). On voit que les parcelles d’agriculture de conservation (où du glyphosate a été utilisé, avec une fréquence non précisée) ont la plus forte biodiversité pour presque tous les groupes zoologiques ou microbiens étudiés, souvent supérieure au bio, à l’exposition d’un groupe de lombrics, les espèces endogées (qui vivent dans le sol avec peu d’interaction avec la surface). Même pour ces espèces, il est peu probable que leur diminution soit due à une toxicité des produits employés, mais plutôt à un effet trophique (l’absence de labour a appauvri les ressources alimentaires dans le sol).

Il est déjà utile de rappeler qu’en l’occurrence, le système de culture le plus favorable à la biodiversité n’est pas le bio, mais un système de culture où les pesticides sont employés avec modération. Mais en quoi cela éclaire-t-il le débat sur le glyphosate ? C’est là que le rapport final de ces essais ne suffit plus. En effet, la publication de 2014 ne cite pas le glyphosate parmi les herbicides utilisés dans le système « Agriculture de conservation ». C’est un peu surprenant, car cette matière active est très souvent utilisée par les adeptes de ce mode de culture. Toutefois, l’article de 2014 ne mentionne que les produits utilisés pendant la campagne précédant les comptages de biodiversité (automne 2010 à printemps 2011).

Le glyphosate oublié

Si on fait une recherche sur les publications intermédiaires, parues avant ce bilan final, on constate que le glyphosate a bel et bien été utilisé dans le mode « Agriculture de conservation ». Par exemple, dans un article de 2009 sur le suivi des populations de vers de terre dans cette même ferme expérimentale[3], les auteurs nous signalent bien que du glyphosate a été utilisé sur les parcelles en agriculture de conservation, au moins pendant la période 2005-2007. L’article ne précise toutefois pas à quelle fréquence.

Par ailleurs, cet article de 2009 fournit des indications intéressantes à propos  l’impact du mode de culture sur les vers de terre. Le suivi biologique des parcelles a distingué 3 populations de lombrics :

  • Les espèces épigées, qui vivent à la surface du sol dans les débris végétaux
  • Les espèces endogées, qui vivent dans le sol, et font peu de mouvements verticaux
  • Les espèces anéciques, qui font des galeries subverticales, et jouent un rôle fondamental en entrainant en profondeur les débris végétaux de surface

Les résultats sont contrastés entre ces 3 catégories de vers : en moyenne sur les 3 ans, l’agriculture de conservation est significativement la plus favorable aux vers anéciques et épigées (le conventionnel et le bio étant dans le même groupe statistique). Par contre, la densité et la biomasse globale des vers endogés y sont significativement inférieures à celles du bio et du conventionnel (qui étaient dans le même groupe statistique, lors de cette étude intermédiaire ; lors du bilan final, un écart significatif s’est creusé en faveur du bio).

Cette réduction des espèces endogées dans l’agriculture de conservation est-elle due à la toxicité des pesticides employés dans ce mode de cultures (dont le glyphosate) ? C’est peu probable, car s’il y avait toxicité, elle devrait logiquement s’exercer plutôt sur les espèces épigées (qui sont les plus exposées aux traitements) et anéciques (qui consomment des débris végétaux qu’ils ont prélevés à la surface, plutôt que sur les endogées qui sont relativement protégés des traitements). De plus, nous avons vu que lors du bilan intermédiaire de 2009 (donc après déjà 10 ans d’expérience), les parcelles en mode conventionnel avaient encore une biomasse de vers de terre égale à celle du bio. En fait, il est probable que ces différences de populations de lombrics entre modes de culture résultent essentiellement du travail du sol : en bio, le labour enfouit les résidus végétaux de la surface du sol, ce qui réduit l’alimentation disponible pour les vers épigées et anéciques, et enrichit par contre les couches de sol où vivent les endogées.

Il est vrai que dans des expérimentations de laboratoire, ou dans des sols traités spécialement pour une expérimentation toxicologique, le glyphosate a montré quelques effets négatifs sur les lombrics[4]. Mais ces effets négatifs potentiels ne se sont pas traduits sur le terrain, même sur long terme. Ces expérimentations d’écotoxicité démontrent donc l’existence d’un danger, mais l’expérimentation INRA montre bien que ce danger  potentiel ne se traduit pas par un risque[5] réel dans les conditions du terrain, même après une longue période de test. Or, contrairement au cas de la toxicologie humaine, la réglementation européenne ne prévoit aucun cas où la simple existence d’un danger écotoxicologique, non confirmée par la démonstration d’un risque, conduise à l’interdiction d’un produit.

Bien sûr, cette expérimentation de l’INRA ne suffit pas à faire le tour la question. On peut en particulier objecter que, dans l’idéal, il aurait fallu un 4ème mode d’agriculture pour que le protocole soit parfaitement « carré » : un mode « agriculture de conservation bio ». Mais, outre le fait qu’il était difficile d’alourdir encore un dispositif expérimental de terrain déjà très complexe, ce mode de culture est encore très marginal, à cause justement de la difficulté de maitriser un couvert végétal sans jamais utiliser d’herbicides[6]. S’il avait pu être mis en place, on peut supposer que ce mode « agriculture de conservation bio » aurait eu encore de meilleures résultats pour la biodiversité… mais probablement aussi des rendements encore inférieurs à ceux du bio avec labour, comme le montrent déjà les expérimentations mises en place sur ce thème[7], et donc un effet encore plus négatif sur l’empreinte culture.

Quoiqu’il en soit, cette expérimentation de long terme de l’INRA rappelle déjà, de façon fort utile, que l’usage ou non de pesticides et d’engrais de synthèse est loin d’être le facteur le plus déterminant de la biodiversité des sols : le mode de travail (ou non) du sol est beaucoup plus important. Elle démontre clairement que, même sur le long terme, et même avec du glyphosate, l’agriculture de conservation est bien le mode de culture le plus performant pour préserver la biodiversité des sols, devant l’agriculture conventionnelle, mais aussi le bio. En cela, elle donne pleinement raison aux organisations agricoles qui réclament le maintien du glyphosate pour assurer la pérennité de leurs actions en faveur de l’agro-écologie. Mais pourquoi l’INRA ne le rappelle-t-il pas plus clairement ? Pas une seule référence au glyphosate sur son espace presse, habituellement si prompt à signaler ses travaux sur l’impact des pesticides…

Philippe Stoop

[1]https://www.researchgate.net/publication/273088887_Fourteen_years_of_evidence_for_positive_effects_of_conservation_agriculture_and_organic_farming_on_soil_life

[2] Sur l’empreinte culture et son importance dans l’évaluation environnementale d’un système de culture, voir http://www.forumphyto.fr/2017/08/07/le-jour-du-depassement-ou-les-incoherences-de-lecologisme/

[3] https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00886495/document

[4] Voir réf. Bibliographiques de l’article 3

[5] Sur la différence entre danger et risque, voir : http://www.forumphyto.fr/2015/09/07/clairement-distinguer-danger-et-risque-risque-danger-x-exposition/

[6] http://www.itab.asso.fr/downloads/com-agro/brochure_sdsc_partie2.pdf

[7] http://www1.montpellier.inra.fr/dinabio/docs/Session_1_oraux/Peigne.pdf