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Pesticides et sperme : une étude stérile

03 avril 2015

1504SteriliteMasculine Une étude (in English) publiée par Human Reproduction, revue médicale US, établirait un lien entre pesticides et fertilité masculine. Les médias et les réseaux sociaux s’enflamment. Qu’en est-il ?

L’étude

L’étude a été réalisée sur 5 ans auprès 155 hommes fréquentant un centre de traitement de l’infertilité. La consommation en fruits et légumes des participants a été évaluée par questionnaire. La teneur en pesticides n’a pas été mesurée, mais a été estimée a priori sur la base des données du ministère américain de l’Agriculture, en distinguant 3 classes de niveaux de résidus. Selon les auteurs, les niveaux de résidus de pesticides les plus élevés dans les fruits et légumes consommés seraient associés à une moindre qualité de sperme.
Les auteurs mentionnent eux-mêmes des limites importantes à leur étude et estiment que « d’autres recherches sont nécessaires »

L’écho médiatique

Malgré ces limites, beaucoup de médias, d’ONG anti-pesticides par principe et des réseaux sociaux se sont précipités, et ont relayé la nouvelle sans distance, voire en en renforçant encore les traits alarmistes, passant du conditionnel au présent, conseillant de manger des produits bios pour éviter les résidus, et/ou minimisant les limites exposés par les auteurs de l’étude.
Voir par exemple Générations Futures particulièrement virulent, Bioaddict.fr, Le Monde, Ouest France, lapresse.ca, rtl.be,
La plupart mentionnent toutefois la réaction de Jackson Kirkman-Brown, du Centre de fertilité de la femme (UK) : « Cette étude peut causer des inquiétudes inutiles. Les hommes qui souhaitent optimiser la qualité de leur sperme doivent continuer à avoir une alimentation saine et équilibrée » tant qu’on n’en sait pas plus.

Quelques titres ont cependant fait plus clairement état des limites de l’étude, par exemple La France Agricole, qui évite un titre affirmatif ou rts.ch (radio-télé suisse) qui met le conditionnel et est très prudent.

Analyse critique de l’étude

Outre les limites mentionnées par les auteurs eux-mêmes, l’étude souffre de faiblesses criantes :
– Elle a été réalisée sur un effectif restreint et est basée uniquement sur du déclaratif
– Les fruits et légumes sont classés arbitrairement en 3 catégories, sans mesure effective des résidus potentiellement ingérés
– En fait, les auteurs de l’étude n’ont pas mesuré l’exposition aux pesticides des participants. Ils l’ont estimée sur la base de données génériques.
– L’étude se base sur une cohorte de bénévoles fréquentant un centre de traitement de l’infertilité. Donc en rien représentatif de la population générale.
– Le régime alimentaire des individus a été évalué une seule fois et n’a pas été évalué sur le long terme.
Les auteurs n’ont pas cherché à savoir si les produits consommés par les hommes de la cohorte étaient conventionnels ou bios. On peut se demander comment Jorge Chavarro, professeur de nutrition et d’épidémiologie (Harvard Medical School, Boston), membre de l’équipe d’auteurs, peut se permettre de suggérer de privilégier la consommation de produits bios après avoir déclaré : « Ces résultats ne doivent pas décourager la consommation de fruits et légumes en général ».

En l’état actuel des connaissances, il n’y a rien qui justifie une quelconque inquiétude au sujet des résidus de pesticides dans l’alimentation. Les niveaux d’exposition du public sont très inférieurs à ceux des professionnels. Les résidus sont très surveillés. Les résidus trouvés sont très majoritairement en dessous des limites légales (voir ici sur ForumPhyto), lesquelles sont en dessous de la dose dite admissible, qui est elle-même 100 à 500 fois inférieure à la dose sans effet sur l’animal le plus sensible, s’il ingère cette dose toute sa vie.
Parce que c’est comme cela qu’avance la science, il est normal et logique que des chercheurs s’intéressent aux effets potentiels des résidus de pesticides. Mais il faut cependant prendre garde à ne pas tirer systématiquement des conclusions hâtives et anxiogènes pour le grand public avant même d’avoir des preuves scientifiques concrètes.

On peut être étonné de l’ampleur de l’écho médiatique de cette « étude » au regard de ses faiblesses rédhibitoires.
Il est probable que le climat anti-pesticides actuel, régulièrement entretenu par des ONG jusqu’au-boutistes, y est pour quelque chose. Plus fondamentalement, dans l’esprit du public, la fertilité masculine, est inconsciemment associée, à tort, à l’impuissance sexuelle. Pour susciter la peur et le buzz, il n’y a même pas besoin comme GE Séralini de mettre des photos de rats malades. Ici, la peur est le résultat des fantasmes auxquels tout le monde est sensible.
Les marchands de peur n’ont vraiment peur de rien…

Note : notre illustration tirée de « Infertilité masculine: l’insuffisance de statistiques renforce le tabou en en Côte d’Ivoire » illustre parfaitement l’association inconsciente et abusive entre infertilité et impuissance sexuelle.