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Ecophyto2 : Les CEPP, usine à gaz et mesure punitive

10 nov. 2015

Un tour des réactions à la présentation du plan Ecophyto2 par Stéphane Le Foll, et surtout de sa mesure phare : les CEPP (Certificats d’Economie de Produits Phytosanitaires). Après s’être interrogées, les organisations professionnelles s’y montrent résolument hostiles. Tour d’horizon.

Une usine à gaz

Les CEPP s’inspirent explicitement des Certificats d’économie d’énergie(CEE). Mais, d’une part les CEE ont montré leurs limites, d’autre part la question phytosanitaire est autrement plus complexe que celle de l’énergie.
Que les CEPP soient des usines à gaz a déjà été démontré à plusieurs reprises.
Voir par exemple :
– « « Certificats d’économie de phytos : une belle usine à gaz en perspective… » (A&E) », s’appuyant sur un article d’Agriculture et Environnement d’Octobre 2013 A&E 2013

– « Certificat d’Economie de Produits Phytos (CEPP) : entêtement certifié et usine à gaz », s’appuyant sur un article de Daniel Sauvaitre de mai 2015.

Réduction des volumes ou réduction des impacts

De plus et surtout, en conformité avec la logique grenellienne d’Ecophyto, les CEPP visent à la réduction des volumes utilisés, et non pas à l’objectif légitime et reconnu par la profession de réduction des impacts.

Un producteur a toujours le souhait de dépenser le moins possible pour une protection phytosanitaire la plus efficace possible. Dans quelques cas, la réduction en volume est directement liée à cette double performance : Outils d’aide à la décision, amélioration matérielle (pulvérisateur, buses, panneaux récupérateurs, GPS, etc.), méthode d’application (enrobage de semences, formulation des produits, etc.), méthodes alternatives éprouvées,… Mais, dans la plupart des cas, la réduction en volume n’est pas en soi synonyme de bénéfice économique, agronomique, environnemental ou sanitaire.

De plus, la quantité de produits utilisés dépend de nombreux facteurs indépendants de la volonté du producteur : type de production, circonstances pédo-climatiques (sol, région, pression parasitaire…), structure d’exploitation et efficacité des méthodes agronomiques, préventives ou complémentaires.
Par exemple, dans « Flash Ecophyto R&D » de juin 2011, nous signalions que, entre autres organismes techniques, le CTIFL[1] estimait dans des cahiers d’acteurs (p22) d’une conférence Ecophyto R&D que « La référence à l’Indice de Fréquence de Traitement (IFT) sur les produits commerciaux, même si elle est explicitée, est illégitime à ce jour pour les Fruits et Légumes sur les plans scientifique et technique. »

Un recul partiel du gouvernement, à préciser

Dans le plan Ecophyto2 et la proposition actuelle des CEPP, le gouvernement recule partiellement : indicateurs pondérés par le danger des substances, caractère « expérimental » des CEPP, mise en œuvre décalée de 6 mois, certificats établis sur des preuves de mise en place de moyens/actions (et non pas d’une baisse des volumes).
Mais on attend toujours les précisions sur ces pondérations et ces preuves.
Dans Référence Environnement « Ecophyto : l’expérimentation des CEPP manque encore de concret » (abonnés), Gaëlle Gaudin parle d’une « ordonnance bien vide » et conclut : « De nombreux points d’application ne sont pas arrêtés. La pénalité en cas de non respect des obligations sera fixée par décret en Conseil d’Etat. Tout comme le seront « les catégories de personnes éligibles à l’expérimentation, les produits phytopharmaceutiques objets de l’expérimentation, les conditions dans lesquelles sont calculées et notifiées les obligations incombant aux obligés, les conditions dans lesquelles sont définies les actions permettant de bénéficier de certificats d’économie de produits phytopharmaceutiques et la valeur de ces actions et certificats, les conditions de délivrance par l’autorité administrative des certificats et du contrôle de la réalité des actions correspondantes et les conditions dans lesquelles l’expérimentation est évaluée ».
De plus, l’objectif reste fondamentalement la réduction des volumes utilisés.

Des environnementalistes déçus

Certains médias ont repris la présentation du Ministère de l’agriculture pratiquement sans distance. Par exemple : Sciences et Avenir, Boursier.com, Notre Temps.
Toutefois, du côté environnementaliste, des doutes et des réticences se sont rapidement fait jour. Par exemple, la Fondation Nicolas Hulot (voir ici) « s’alarme de la remise en cause de l’indicateur principal de suivi ». Pour Environnement Magazine (voir ici), il reste à « vaincre les conservatismes » car « du retard a été pris dans l’agriculture, qui pèse sur 98 % des usages. Certes 400 000 professionnels ont suivi la formation Certiphyto. Mais au vu des derniers chiffres, on a l’impression, sans trop caricaturer, qu’une fois rentrés chez eux le certificat en poche, ils épandent de plus belle ! »
Selon Référence Environnement du 03 novembre 2015, « la Fondation Nicolas Hulot parle d’un plan « à compléter », et attend notamment des mesures plus fermes sur les néonicotinoïdes. Pour Générations futures, cette V2 ne permet pas d’orienter l’agriculture française vers de nouveaux systèmes de production, en rupture avec les standards actuels.

La profession de plus en plus ouvertement hostile à cette « mesure punitive »

Du côté professionnel, l’expectative et les doutes, ont fait place à l’hostilité ouverte. Outre la complexité des CEPP, deux nouvelles critiques se font jour :
– Suite aux manifestations agricoles de cet été, le gouvernement avait promis une pause réglementaire et l’arrêt de toute « sur-transposition » de la réglementation européenne. Or le plan Ecophyto (version 1 ou 2) est bien une sur-transposition : Dans le cadre de la directive Utilisation Durable (Directive 2009/128), seuls le Danemark et la France se fixent des objectifs contraignants de réduction des volumes de pesticides. Tous les autres Etats Membres fixent des objectifs de réduction des impacts.
– Enfin, les distributeurs d’approvisionnement, privés (FNA) et coopératifs (Coop de France), perçoivent la logique « punitive » clairement affichée des CEPP, même si elle est atténuée, retardée et encore floue.

Dans « Ecophyto 2 : Coopératives et négoces contre les CEPP », La France Agricole rapporte par exemple les propos de Coop de France Métiers du grain : « La publication de ce texte, un mois et demi après les déclarations de Manuel Valls appelant à une pause normative, à la concertation et refusant toute sur-transposition, est vécu par l’ensemble du monde agricole comme une véritable provocation »
Agrisalon titre : « Ecophyto 2 Coop de France : « Un choc de complication » » et La Vigne titre « Ecophyto 2  Un plan mal accueilli »

L’UIPP (fabricants de produits phytos) dénoncent principalement l’aspect unilatéral et punitif des CEPP. Voir par exemple La France Agricole et l’Usine Nouvelle.

Sur le terrain, les agriculteurs commencent à manifester ouvertement leur exaspération. Par exemple La France Agricole signale « Ecophyto 2 : Des agriculteurs murent la permanence de Marisol Touraine ».

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Source : Agriculture et Environnement

[1] Centre Technique Interprofessionnel Fruits et Légumes