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Biodiversité, abeilles et… néonicotinoïdes : c’est reparti !

22 janv. 2016

abeilles Le débat sur les néonicotinoïdes revient sur le devant de la scène médiatique : Une nouvelle étude INRA-ACTA, un avis de l’ANSES et un débat parlementaire sur la biodiversité relance la volonté des environnementalistes d’en finir avec ces tueurs supposés des abeilles. Qu’en est-il au fond ?

La nouvelle étude de l’INRA

Fin novembre 2015, Mickaël Henry (INRA) et Axel Decourtye (ACTA) ont publié une étude ayant pour but de vérifier la solidité de l’étude publiée en 2012 par les mêmes auteurs, et surtout sa validité dans des conditions de terrain. Cette étude de 2012 avait contribué à durcir la réglementation concernant les néonicotinoïdes en France puis dans l’UE.
Selon leur communiqué de presse, ils ne se renient pas : cette nouvelle étude conforte les essais en laboratoire [de 2012] [… ] L’étude révèle que la proximité des parcelles traitées diminue l’espérance de vie des butineuses. » Mais ils ajoutent : « En réponse à cette surmortalité, les colonies modifient leur stratégie de production de couvain de façon à privilégier le renouvèlement des ouvrières. »

Dans « Néonicotinoïdes : aucun effet mesurable sur les ruches, selon l’Inra », Agriculture et Environnement (A&E) exprime les choses un peu plus directement. Pour A&E, l’étude de 2015 « démontre sans aucune contestation possible que l’exposition des abeilles aux néonicotinoïdes n’a aucun impact sur la production de miel. » De plus, A&E montre que l’étude souffre de quelques lacunes graves. Par exemple, « s’accrochant désespérément à leurs premiers résultats, Henry et Decourtye tentent en effet de démontrer qu’individuellement, les abeilles butineuses auraient une espérance de vie plus faible en fonction du degré d’exposition au thiaméthoxam. […] Pourquoi pas ? […] [mais], les auteurs ne fournissent aucune référence scientifique justifiant [leur méthode statistique], et que les données permettant de valider la corrélation entre cet indice et l’exposition réelle sont absentes de l’étude. »
Globalement, si la nouvelle étude n’invalide pas explicitement l’étude de 2012, elle démontre néanmoins, « à l’insu de son plein gré » que, dans les conditions de terrain, les répercussions sont faibles sur les abeilles et quasi-nulles sur les ruches et leur activité.

L’avis de l’ANSES

En décembre, l’ANSES a rendu son avis après avoir été saisie par le ministère de l’écologie.

Voir le Communiqué sur le site du ministère de l’environnement et l’Avis complet de l’ANSES.
L’ANSES reste très prudente. Elle souligne par exemple « le caractère multifactoriel des causes de mortalité des colonies d’abeille ». Ou encore que, malgré une mortalité accrue des abeilles butineuses semblant liée à l’utilisation de néonicotinoïdes sur du colza, « aucun impact sur les performances de la ruche ni les quantités de miel produites n’a été observé. »
Cependant, tenant compte de l’étude 2015 de M Henry, sans pouvoir rajouter d’éléments probants par rapport à ses avis précédents, et « sur la base d’hypothèses très conservatrices », l’ANSES considère qu’une « incertitude existe » concernant les usages actuellement autorisés. Par exemple quant aux résidus présents dans les végétaux dans certaines conditions.

Elle préconise le renforcement des conditions d’utilisation pour certains usages et de ne pas semer de culture attractive pour les pollinisateurs à la suite d’une culture traitée par des néonicotinoïdes.
C’est ce dernier point qu’ont retenu en général les médias. Voir par exemple La France Agricole ou Sciences et Avenir.

Cependant l’ANSES évoque aussi la difficulté de prendre de telles restrictions en particulier du fait que l’EFSA (l’Agence Européenne) n’a pas encore rendu son avis (prévu en janvier 2017) quant au bilan du moratoire européen.
Et comme le souligne A Amgar sur son blog dans « Les abeilles, les ministres, l’Anses et l’EFSA » : « Si des ministres en France pouvaient éviter de mettre la pression sur l’Anses, cela serait pas mal, car la réponse de l’EFSA n’arrivera pas avant janvier 2017… ne pas refaire l’erreur du bisphénol A ! »

Le débat parlementaire

La pression environnementaliste est, dans ce contexte, maximale sur le débat parlementaire sur la loi biodiversité. Dans le cadre de cette discussion, en 2015, des parlementaires avaient proposé, contre l’avis du gouvernement, une interdiction française totale et unilatérale de tous les néonicotinoïdes. Ce débat redémarre en janvier 2016.

Le titre « Abeilles contre pesticides, la bataille reprend » de La Croix est significatif des présupposés politiques de ce débat : même pour les médias rendant compte du débat de façon équilibrée, il ne fait aucun doute que les néonicotinoïdes sont une menace importante pour les abeilles. Même si, dans le corps de l’article, Stéphane Le Foll, interviewé, déclare : « Je ne suis pas favorable à l’amendement sénatorial. Il laisse à penser qu’il suffirait d’interdire les néonicotinoïdes et les produits phytosanitaires pour régler le problème des abeilles, ce qui n’est pas vrai. Par ailleurs, une telle décision ne peut être prise que s’il existe des alternatives pour les agriculteurs. Il y en a parfois, mais pas pour toutes les cultures. Dès lors, les agriculteurs risqueraient de revenir à des pratiques encore plus problématiques que les enrobages et moins efficaces. Je dois trouver un équilibre entre toutes les filières. »

La pression environnementaliste s’exerce par la déclaration de la Confédération Paysanne (voir ici) ou par des articles ne retenant que les aspects alarmistes de l’avis de l’ANSES. Par exemple Bio-Addict.

Raison garder
Certes, comme tout insecticide, les néonicotinoïdes doivent être utilisés avec précaution pour ne pas nuire aux insectes bénéfiques. L’expérience prouve aux producteurs de fruits et légumes que l’utilisation conforme à la loi est respectueuse des abeilles. Les producteurs de Fruits et Légumes vivent d’ailleurs en bonne entente avec les apiculteurs dont ils hébergent les ruches.
Il serait dommage qu’à force de répétition, la fable du risque majeur des néonicotinoïdes fasse prendre des décisions dangereuses pour l’agriculture, les agriculteurs et… les abeilles.

Pour aller plus loin sur la question néonicotinoïdes et abeilles :
– « Néonicotinoïdes : se méfier des préjugés »
– « L’union Européenne a un bug (à propos des néonicotinoïdes) »