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Le débat sur les pesticides continue…

26 févr. 2016

Le moins qu’on puisse dire est que l’émission Cash Investigation a, s’il en était besoin, relancé le débat sur les pesticides. Plus souvent pour le pire que pour le meilleur : Dans les médias et les réseaux sociaux, c’est la peur instillée par Cash qui domine. Cependant, d’autres voix se font entendre : Scientifiques, rationalistes, bloggeurs et le monde agricole.

Un débat vif chez Libération.

A Libération, la rubrique Désintox a par deux fois dénoncé le chiffre bidon de Cash (voir ici). C’en était trop sans doute pour ce journal qui vise le même public. Daniel Schneidermann s’est donc contorsionné pour justifier l’attitude de Cash, en prônant le « mentir utile »… (voir ici).
Depuis Libération s’est fendu d’une première page dénonçant « un laxisme français » et d’articles plus accusateurs les uns que les autres.

Par exemple, Coralie Schaub titre « Les pesticides nuisent gravement à la santé » et accuse nettement : « Alors que la Commission européenne est accusée de laxisme envers les industriels, les scientifiques et les associations s’inquiètent de l’omniprésence de ces poisons. » Et ne jure que par les « solutions alternatives ».

Cependant, dans le même Libération, Cédric Mathiot et Pauline Moullot, les auteurs de la rubrique Désintox récidivent, titrent « «Cash Investigation», lanceur d’alerte trop alarmiste » et, tout en se félicitant eux aussi que Cash fasse « bouger les choses », affirment, tout en euphémisme, « [L’émission Cash Investigation] a parfois un petit défaut, celui – entre mise en scène musclée et sensationnalisme – de forcer un peu le trait. L’émission diffusée sur France 2 le 2 février, qui a secoué l’opinion (et les politiques) autour de la question des pesticides, a laissé dans le débat public une statistique choc… mais hautement contestable. » Ils le prouvent en s’appuyant sur 4 études officielles concordantes. Et ils concluent : « Seule certitude : aucune des enquêtes citées ci-dessus ne vient valider le chiffre de Cash Investigation ».

Ajout au 27/02/2016 : Dans « Libération: entre raison et déraison« , Seppi, sur son blog, fait une analyse complète de ce débat interne à Libération. Un débat qui oppose, d’une part, un journalisme certes partisan, mais soucieux d’exactitude et de vérité, et, d’autre part, un « journalisme routinier et sans scrupules [consistant] à reproduire sans état d’âme les déclarations des acteurs de l’actualité, pourvu qu’elles aillent dans le « bon » sens »

Un délire qui n’a plus de limites

Le « succès » dans la démesure de Cash Investigation encourage visiblement les vocations et les surenchères. La plupart des médias et des ONG en rajoutent dans le catastrophisme : Libération comme indiqué plus haut, mais aussi Le Monde (ici et ici), Le Point qui ici interroge le docteur et militant Laurent Chevallier, etc.

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« Pommes et pesticides : le délire n’a plus de limites ! », Alerte Environnement cite un exemple particulièrement frappant d’absence totale de nuance : un article d’Atlantico intitulé « pourquoi manger une pomme quand vous prenez la pilule contraceptive peut vous mettre en danger de mort » Rien que ça !!!
Les commentaires des lecteurs d’Alerte Environnement, bien que dans un style souvent relâché, ont aussi leur intérêt.

Du côté de l’agriculture

L’académie d’Agriculture a mis en ligne un commentaire sur les résidus de pesticides dans l’UE (ou ici sur ForumPhyto) de l’un de ses membres, Jean-Louis Bernard, en réponse à l’émission de Cash Investigation. Après avoir fait une analyse identique à celles de l’AFIS (ici) ou de la rubrique Désintox de Libération (voir ici), il conclut : « Asseoir une émission télévisuelle aux heures de grande écoute sur la présence de résidus de pesticides dans 97% de nos aliments et chercher à convaincre le téléspectateur médusé de l’existence de risques avérés découlant de cette présence massive n’est pas une erreur de lecture du rapport annuel de l’EFSA mais relève davantage d’une volonté de désinformation indigne d’un « service public ». »

Bruno Dupont, président d’Interfel, l’interprofession Fruits et Légumes, a écrit une lettre ouverte au ministre de l’Agriculture, qui a été publiée par plusieurs médias, y compris grand public. Par exemple Ouest France. Dénonçant le « climat alarmiste et anxiogène », Interfel considère que « ces attaques à répétition entament de manière injustifiée le capital de confiance remarquable que les Français ont dans nos produits et influencent négativement leur consommation, ce qui va à l’encontre des recommandations nutritionnelles de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ». Il conclut par un appel : « Réaffirmer la qualité de nos produits, le respect par les professionnels de la réglementation et l’importance de la consommation des fruits et légumes frais doit être une priorité pour votre ministère et doit s’accompagner de soutiens techniques et financiers. […] Nous comptons vivement sur vous, monsieur le ministre, et restons à votre disposition. »

Le débat est d’ailleurs plus général. Il est bien résumé dans « Avenir de l’agriculture française : le match Brunel-Dufumier », article de Seppi sur son blog. Il conclut : La « stratégie [de Marc Dufumier] de l’ « agriculture moins industrielle » est aussi une utopie. Nous le vérifions du reste déjà, par exemple par le fait que les productions porcines allemande et espagnole taillent des croupières à la française. La préférence nationale (ou locale) pour cause de vertu écologique ou sociale ne résiste pas longtemps devant les réalités de la comptabilité des foyers (même chez les ménages aisés). Elle exigerait une révolution nationale dans un monde qui s’est adonné au libre-échange (avec quelques limites et entorses aux principes) ; mais on peut rêver à une France barricadée sur le plan économique (pas simplement agricole), mais aussi social ; ou même concevoir un programme politique sur cette base, comme le fait un parti de plus en plus influent ».

Nous partagerons son mot de la fin : « Ce n’est pas notre vision ».