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Face au naturel, « les Bayer, Syngenta, Dow Chemical et autres Monsanto ne sont que des petits joueurs »

26 févr. 2016

Dans « Il y a des tartes aux pommes qui se perdent », Daniel Sauvaitre, président de l’ANPP (producteurs de pommes) se livre à quelques comparaisons amusantes et stimulantes entre substances naturelles et synthétiques. Où l’on voit que le plus risqué est, de loin… le naturel.

Une source très contestable par certains aspects

D Sauvaitre tire une partie de son information d’une « très sérieuse revue de nutrithérapie » qui pose sérieusement la question « Faut-il manger le trognon de pomme ? »

Très sérieuse ? voire… Il s’agit de Santé Nature Innovation (SNI) qui est en fait une revue de « bien-être » et de « santé naturelle ». Cette revue est liée à la nébuleuse Laarman, bien analysée par Agriculture et Environnement. Nébuleuse « d’associations-entreprises » organisées en réseau, pratiquant force marketing direct et appel aux dons.
Sur l’aspect santé, SNI déclare que ses conseils ne sauraient « se substituer à une consultation médicale » et donne des conseils quelquefois utiles ou de bon sens. Mais elle privilégie systématiquement des soins « naturels » souvent non fondés scientifiquement. Pour SNI, « ce que fait la médecine, c’est qu’elle parvient à maintenir en vie de plus en plus longtemps des personnes en très mauvaise santé ». Bref, SNI surfe sur le préjugé favorable au « naturel », ce qui lui apporte des souscripteurs dans le grand public.

Une information juste…

Il est amusant de voir SNI vanter la consommation de trognon de pomme, tout en étant conscient de la présence d’un précurseur du cyanure. Il donne un argument juste : il faudrait manger 19 trognons de pomme, en broyant bien les pépins, pour risquer quelque chose ; mais personne ne mange 19 trognons de pomme d’un coup et « les doses ne se cumulent pas au cours de l’existence ». Donc « aucun risque de vous empoisonner ». Sur ce point SNI a raison.

…Et une information fausse

Evidemment, avec son préjugé pro-naturel, SNI termine son article par un conseil de prudence « Reste la question de savoir s’il faut manger la peau. Le terrible dilemme est que la pomme arrive chaque année en tête des produits les plus chargés en pesticides […] Il est donc particulièrement important de choisir vos pommes bio, ou mieux, de planter un pommier dans votre jardin si vous avez la chance d’en avoir un ». Oubliant de préciser cette fois que pour risquer quoique ce soit venant des résidus de pesticides, ce ne sont pas 19 pommes qu’il faudrait manger mais au moins plusieurs milliers…

Le travail de Daniel Sauvaitre

S’appuyant sur l’information juste, Daniel Sauvaitre ironise à juste titre : « Greenpeace avait donc raison. Les pommes sont bien empoisonnées. Mais pas par là où on croyait. »
Et il fait quelques calculs amusants et pertinents. Par exemple, entre autres celui-ci : « 60.000 tonnes de cyanure produites annuellement par les seuls arboriculteurs producteurs de fruits de France. Dingue non? C’est pile poil la quantité de produits phytosanitaires utilisés en France chaque année. Les Bayer, Syngenta, Dow Chemical et autres Monsanto ne sont que des petits joueurs en fait. La nature produit toute seule des milliers de fois plus de pesticides que leurs beaux fourneaux. »
Précisons pour les hypocondriaques : toujours aucun risque de vous empoisonner.

Naturel et synthétique

Dans « Neuf idées reçues passée au crible de la science » (La Recherche), Bruce Ames, toxicologue, a fait une estimation analogue plus étayée, documentée et précise : « Dans l’alimentation humaine, 99,99 % des pesticides absorbés sont d’origine naturelle […] Quantitativement, [un américain] en consomme environ 1,5 gramme[1] par jour, soit à peu près 10 000 fois sa dose quotidienne de résidus de pesticides synthétiques. Dix mille fois ! »
Ceci mène à l’argument de la tasse de café : « en une seule tasse de café, on absorbe plus de composés naturels et toxiques, cancérogènes, mutagènes que tout ce que notre alimentation nous fournit en un an en résidus de pesticides synthétiques. Le souci de notre société à propos des résidus est donc très grandement surestimé. »

coffee

De nombreux articles ont confirmé et exposé pédagogiquement le travail de Bruce Ames. Malheureusement pratiquement uniquement in English.
Voir par exemple :
« Misconceptions about the causes of cancer » qui est une actualisation de 2002 de l’article original in English de 1990.
« Natural versus Synthetic Chemicals Is a Gray Matter » par Dorrea Reeser sur le Scientific American en 2013
Ou encore ce « menu de fête » (toujours in English, mais compréhensible sans trop de difficulté), très pédagogique et proposé par l’American Council on Science and Health en 2001.

En Belgique, pays peut-être un peu plus raisonnable que la France, la RTBF, radio télévision publique, titre « « Le naturel, c’est bon pour la santé »? Vraiment?  » et livre plusieurs illustrations, dont celle des pépins de pommes. La RTBF en tire la morale suivante : « après avoir eu peur des produits de synthèse, faut-il avoir peur du naturel ? Pas forcément : notre foie est parfaitement capable d’éliminer la plupart de ces poisons. Mais de là à dire que si c’est naturel, c’est bon pour la santé, il y a de la marge… »

Oui décidément, comme l’écrit Daniel Sauvaitre: « Face au naturel, « les Bayer, Syngenta, Dow Chemical et autres Monsanto ne sont que des petits joueurs. »

[1] Une malencontreuse erreur de traduction de La Recherche introduit de la confusion dans les chiffres. C’est bien 1.5 g (et non pas 1.5mg) de pesticides naturels que nous ingérons quotidiennement. Voir le texte original in English : http://www.pnas.org/content/87/19/7777.full.pdf