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« Coûts-Bénéfices des pesticides : une mauvaise plaisanterie de l’INRA ? » (suite)

25 mars 2016

Notre article sur la potentielle mauvaise plaisanterie de l’INRA (voir ici) a un certain succès. Il s’est aussi attiré les foudres et l’ironie de quelques personnes, dont Stéphane Foucart, qui nous reprochent d’avoir mal lu les résultats d’une publication de 2011, une étude épidémiologique américaine.

Voici donc notre réponse.

@factsory, un tweetos quasi anonyme, se présentant comme n’ayant « pas de lien avec des industries ou ONG », comme « notoirement incompétent en tout » et qui demande à être jugé « sur [ses] arguments et sources » considère une de nos affirmations comme contradictoire avec l’étude de 2011.

1603TweetNassolsurACB-INRA
Stéphane Foucart, journaliste au Monde, a jugé utile de s’appuyer sur ce tweet pour ironiser :

1603TweetStephFoucart

Or le résultat cité par @factsory est celui du tableau 5 de cette publication de 2011, qui présente les relative standardized mortality ratios (RSMR), alors que nous avons évoqué le tableau 4 (standardized mortality ratios, SMR)

Par rapport au SMR, le RSMR est corrigé en tenant compte du fait que la mortalité globale est plus faible dans la population des applicateurs de produits que dans la population générale.
Par exemple, le RSMR du lymphome non hodgkinien (LNH) est significativement supérieur à 1 chez les applicateurs de pesticides. Cela veut dire que, chez eux, le LNH est une cause de mortalité plus fréquente (comparée aux autres causes de mortalité) que dans la population générale. Cela tient bien sûr au fait que la mortalité du LNH est normale chez eux, alors qu’elle est inférieure à la normale pour une foule d’autres maladies.
Mais pour dire qu’il y a un excès de mortalité d’une maladie donnée, par rapport à la population générale, c’est bien sur le SMR qu’il faut se baser, et non sur le RSMR.

Si nous voulions ironiser à notre tour, nous pourrions dire que les chiffres que @factory nous objecte révèlent simplement les types de cancer dont les pesticides ne protègent pas.
Nous n’irons évidemment pas jusque-là. Les cancers ont des causes multiples. Isoler des causes n’est pas simple. Le travail fait par cette étude officielle de 2011 est remarquable. Mais son interprétation doit être menée honnêtement et avec compétence.
@factsory a-t-il tweeté honnêtement ? Nous n’avons pas les moyens de le savoir. Nous n’en douterons donc pas a priori. Mais il est bien visiblement « notoirement incompétent en tout » comme il le revendique.
Peut-être Stéphane Foucart reconnaitra-t-il qu’il a eu tort d’ironiser…

Mise à jour le 25 mars 2016 à 12h :

Stéphane Foucart insiste en renvoyant vers un article d’actualisation de l’AHS (l’étude épidémiologique citée de 2011) et nous accuse de faire du « Cherry picking ».
Or :
1) Le « Cherry Picking » n’est pas exactement ce à quoi S Foucart fait allusion.
Le Cherry Picking consiste, pour un scientifique, à sélectionner les données prises en compte en fonction d’un objectif. Ce qui n’est pas le cas ici.
2) L’article d’actualisation ne dément pas les conclusions de la publication AHS initiale: il parle d’incidence, pas de mortalité. Cela n’invalide pas notre remarque initiale.
3) L’article d’actualisation mentionne toutes les causes possibles susceptibles d’interférer : virus, bactéries, exposition au soleil, autres chimiques…

1603AbstractUpdateAHS

Mise à jour le 25 mars 2016 à 17h :

@factsory, toujours appuyé par les retweets de Stéphane Foucart, nous suggère que « Comparer (sans ajuster) agriculteurs et pop générale = paradoxe de Simpson » (et que nous commettrions donc une erreur de raisonnement statistique) et nous indique une vidéo fort instructive https://www.youtube.com/watch?v=vs_Zzf_vL2I
Nous l’en remercions.
Le paradoxe de Simpson montre que l’interprétation des statistiques doit se méfier des « facteurs de confusion ».

1603paradoxeSimpsonFacteursdeConfusionFort bien. Cependant :
1) notre critique n’a rien à voir avec un quelconque facteur de confusion. Factsory semble croire que le Standardized Mortality Ratio (que nous citions) est un résultat brut, et le Relative Standard Mortality Ratio (auquel factsory se réfère) est un résultat ajusté pour éliminer un facteur de confusion, or ce n’est pas le cas. Le SMR mesure bien les écarts de mortalité, maladie par maladie, entre les applicateurs de pesticides et la population générale. Le RMSR permet de vérifier si l’importance respective des différentes maladies est la même chez les applicateurs de pesticides et dans la population générale. Pour reformuler différemment notre explication précédente, qui a manifestement été mal comprise par factsory : le fait que le Lymphome non-hodgkinien ait un RSMR significativement supérieur à 1 chez les applicateurs de pesticides ne signifie pas qu’il y a plus de LNH chez eux que dans la population générale. Il signifie que, chez eux, la probabilité de mourir d’un LNH est plus élevée…mais simplement parce qu’ils ont beaucoup moins de risque de mourir de la plupart des autres cancers… ce qui ne les empêche pas de mourir une fois et une seule comme tout le monde ! Nous confirmons donc que, pour comparer la mortalité entre applicateurs de pesticides et population générale, c’est bien le SMR qu’il faut regarder, et non le RSMR. Et là, les faits sont têtus : les applicateurs n’ont un SMR significativement supérieur à 1 pour aucun type de cancer…même ceux dont l’incidence est plus élevée que dans la population générale (l’article cité par S Foucart n’est donc qu’une diversion totalement hors sujet).

2) Les détracteurs des pesticides sont souvent victimes des facteurs de confusion quant aux possibles cancers des agriculteurs. Ces facteurs de confusion sont principalement, en positif, un mode de vie sain et un moindre tabagisme, en négatif, l’exposition au soleil, aux poussières, à d’autres produits chimiques, aux virus et aux bactéries. Comme mentionné plus haut « Les cancers ont des causes multiples. Isoler des causes n’est pas simple. »  Il faut donc prendre garde aux conclusions hâtives.
Précaution que ne semble prendre ni @factsory, ni Stéphane Foucart.

3) Stéphane Foucart se garde bien de répondre sur les autres points que nous avons soulevés : surévaluation des coûts, raisonnements circulaires, non-prise en compte des bénéfices.

Limiter le travail pénible (et celui des enfants) est un des bénéfices de l'usage des pesticides, non comptabilisé dans l'étude de Guillemaud et Bourguet.

Limiter le travail pénible (et celui des enfants) est un des bénéfices de l’usage des pesticides, non comptabilisé dans l’étude de Guillemaud et Bourguet.