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Coûts-Bénéfices des pesticides : suites sur le Web

29 mars 2016

L’Analyse Coûts-Bénéfices de l’usage des pesticides de Denis Bourguet et Thomas Guillemaud, deux chercheurs de l’INRA, dont nous nous demandions ici et ici s’il s’agissait d’une mauvaise plaisanterie, continue de faire couler de l’encre.

Des auteurs beaucoup plus nuancés que Stéphane Foucart…

Sous le titre « « Il est difficile d’estimer les coûts des pesticides », Denis Bourguet, Inra » (accès restreint), Référence Environnement interviewe l’un des auteurs, nettement moins partisan, au moins dans la forme, que l’article de Stéphane Foucart dans Le Monde. Il souligne deux points :
– A propos des coûts des pesticides, « pour pratiquement tous les pays, ces coûts ne sont pas estimés et quand ils le sont, ils sont généralement sous évalués. Ce qui rend impossible l’évaluation du ratio coûts/bénéfices. Cette conclusion s’applique à la France. »
– Les données sont anciennes et américaines. Donc « [les résultats ne sont] absolument pas [extrapolables à la France], et des raccourcis ont rapidement été faits, à partir de notre revue, ces derniers jours. Nous ne sommes pas dans la même situation, les molécules utilisées aujourd’hui, notamment, ne sont plus les mêmes. Nous insistons donc sur le manque de données et sur l’importance de se pencher sur ce sujet. » Très probablement une façon de se démarquer des interprétations de Stéphane Foucart du Monde et son acolyte Générations Futures.
Dont acte. La plupart des critiques que nous avions formulées restent cependant valides.

Des critiques de fond

Dans « La fabrication de chiffres serait-elle le dernier retranchement des environnementalistes » (in English), David Zaruk, sur son blog Risk Monger analyse la folie des chiffres qui saisit le mouvement environnementaliste ces dernières semaines.
« La logique est simple : les produits chimiques coûtent des milliards de dollars, donc les supprimer économiserait de l’argent. Je suis un peu troublé par le fait qu’on peut fait dire aux statistiques ce que l’on veut croire. Quand des groupes habitués à construire des campagnes environnementales biaisiées et manipulatrices, on peut s’attendre à voir apparaître des stupidités [l’anglais « bullshit » est bien plus imagé…NDT] impressionnantes de créativité (mais affreusement terrifiantes) »
D Zaruk prend deux exemples de cette fabrication de chiffres. L’un d’entre eux est l’étude de Guillemaud et Bourguet.
Il note que l’étude a été publiée dans une revue scientifique de type pay-per-publish avec un faible facteur d’impact et planifiée avec une synchronisation parfaite avec la semaine des alternatives aux pesticides.
Puis il lance le défi : « ok – ils veulent jouer au jeu des chiffres ». Il faut mettre des gamins à biner pour remplacer les herbicides. C’est ce qu’il a évoqué dans un article précédent (voir ici). Cela fait l’objet d’un calcul précis dans une vidéo de CropLife America (association des firmes phytos) (voir à partir de la 27° minute) (in English).
Il refait également les calculs de Bourguet et Guillemaud sur une base plus réaliste et actuelle et aboutit à un bénéfice direct pour les producteurs de 160 milliards de Dollars (et non pas 39.5). Sans compter, dit-il, les bénéfices des fongicides et insecticides (« quelqu’un a-t-l entendu parler des essaims de criquets pèlerins ? »)

Il termine son article d’une part en montrant la logique malthusienne de cette inflation numérique et l’aveu d’impuissance qu’elle signifie. « Les environnementalistes ne seraient-ils pas en train de jouer leur dernier atout ? Ne serait-ce pas un geste désespéré ? si tel est le cas, ils devraient maintenant avancer des chiffres plus sérieux et trouver quelque chose de mieux à faire »

Dans « Le Monde: le quotidien anti-pesticides de référence », Anton Suwalki constate : « Nous avons subi ces derniers mois un bombardement sans précédent de propagande anti-pesticides. Côté presse écrite subventionnée, Le Monde est incontestablement à la pointe de cet étrange combat. Ses journalistes ne prennent même plus un semblant de distance par rapport à la propagande, et les titres des pages Planète ressemblent à s’y méprendre aux slogans des ONG […] Dans les articles de Stéphane Foucart traitant du sujet, on échappe rarement au point de vue « éclairé » de François Veillerette, porte parole de Générations Futures. Si l’idéologie verte épousée par le Monde est probablement le reflet des préjugés de son lectorat moyen, il en est aussi la caricature, au point de rendre définitivement obsolète son image de journal de référence. »
Parmi les exemples destinés à illustrer son propos, il cite l’article de S Foucart s’appuyant sur l’étude de Guillemaud et Bourguet. Il fait trois critiques de fond sur les coûts cachés. En particulier, il montre, « qu’en extrapolant, il ne doit pas être difficile de « prouver » que l’ensemble des décès et des maladies chroniques graves coutent à la société américaine …plus de 100% de son produit intérieur brut. C’est dire l’absurdité de ce genre d’estimation. »
Il garde « le plus drôle pour la fin » : l’absurdité (que nous avions d’ailleurs relevé) de considérer « le surcoût des produits bio [comme] un coût caché des pesticides. Celle-là, il fallait vraiment la trouver ! »

Dans « « Pesticides: Economic nonsense? » », Wackes Seppi fait une critique relativement complète de l’étude de Bourguet et Guillemaud. Il emprunte le titre de son article à Euractiv, dont il regrette « la dérive vers l’écologisme primaire ».

Après avoir mentionné d’autres critiques publiées sur Internet dont celle de ForumPhyto, Wackes Seppi montre la véritable articulation médiatique entre Bourguet/Guillemaud, Générations Futures et la Semaine sans pesticides. Il montre également que les grandes exagérations des coûts liés aux pesticides de Générations Futures et Stéphane Foucart sont déjà présentes chez Bourguet/Guillemaud.
W Seppi partage les interrogations de notre premier article : « Comment l’INRA peut-elle laisser son nom associé à une telle étude ? Négligence ou volonté délibérée ? L’INRA est-elle tombée aussi bas ? Si tel est le cas, ne faudrait-il pas demander à une équipe transdisciplinaire de se pencher sur une Analyse Coût-Bénéfice de l’INRA… »

Mais Seppi part « d’une autre prémisse » : « Car aucun des deux auteurs n’est qualifié pour l’exercice qu’ils ont mené en un duo solitaire. Aucun d’eux n’a les études économétriques dans son cahier des charges à l’INRA. Comment, dès lors, l’affiliation à l’INRA a-t-elle pu être revendiquée dans la publication pour un travail qui relève à l’évidence du violon d’Ingres – lire sans nul doute : du militantisme ? »
Sa conclusion : « Dans tout cela, il y a quand même une bonne nouvelle : la mayonnaise Bourguet-Guillemaud-Foucard-Veillerette n’a pas pris. »

Notons enfin le commentaire que Sophie Carton, AgroParisTech, nous a fait parvenir suite à notre premier article :
Pour compléter l’analyse de l’article de T. Guillemaud et D. Bourguet, il est important de souligner trois éléments :

  1. Les auteurs précisent qu’ils ne comptent dans les bénéfices des pesticides que les bénéfices dits internes, c’est-à-dire les bénéfices liés à la mise sur le marché de la production agricole supplémentaire permise par l’utilisation des pesticides. Or, il existe des bénéfices externes, cités par les auteurs : réduction de la morbidité et de la mortalité, réduction des invasions biologiques, effet positif sur des activités des laboratoires de recherche en chimie, l’industrie chimique et le conseil. L’article focalisant sur l’estimation des coûts, les auteurs reconnaissent restreindre volontairement l’estimation des bénéfices (voir p. 104 de l’article).
  2. Les auteurs expliquent en outre que la meilleure façon d’estimer le ratio bénéfices/coûts serait de comparer la situation étudiée avec un système alternatif. Seuls les bénéfices ou coûts qui diffèrent entre les deux systèmes devraient être considérés. Ainsi, pour l’estimation des coûts des pesticides liés à la santé humaine, il faudrait, en toute rigueur, estimer le différentiel de morbidité et de mortalité entre le système étudié et un système sans pesticides. S’il n’y avait pas de pesticides, il y aurait certes moins de morbidité et de mortalité liées aux pesticides, mais il y aurait sans doute plus de morbidité et de mortalité liée à une production agricole moins abondante et de moindre qualité sanitaire. Or les auteurs n’estiment que les coûts de la morbidité et la mortalité supposément liées à l’utilisation des pesticides.

Par conséquent, le ratio bénéfices/coûts recalculé par les auteurs est largement déséquilibré : bénéfices incomplets/coûts complets (sans doute surestimés car non comparés à une situation alternative). Il n’est donc pas surprenant d’obtenir un ratio inférieur à 1 dans ces conditions.

  1. Enfin, le ratio bénéfices/coûts recalculé par les auteurs est un ratio bénéfices/coûts pour les US en 1992. Cette information est d’ailleurs bien mentionnée dans les articles de presse traitant du sujet. Ce qui n’est pas relevé en revanche, mais que les auteurs expliquent bien au sujet des coûts lies à la santé humaine (voir p. 55 de l’article), c’est que ces coûts varient sans doute beaucoup entre les pays. Par ailleurs, pour un pays donné, ces coûts ont sans doute beaucoup diminué au fil du temps, grâce à l’évolution des pratiques et de la réglementation. Cette remarque peut s’appliquer à tous les coûts externes considérés. Par conséquent, on ne peut pas déduire de l’étude une estimation des coûts des pesticides employés aujourd’hui en France ou en Europe.
Limiter le travail pénible (et celui des enfants) est un des bénéfices de l'usage des pesticides, non comptabilisé dans l'étude de Guillemaud et Bourguet.

Limiter le travail pénible (et celui des enfants) est un des bénéfices de l’usage des pesticides, non comptabilisé dans l’étude de Guillemaud et Bourguet.