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Aurons-nous des cerises cet été ?

31 mars 2016

Stéphane Le Foll demande en urgence à la Commission Européenne « l’interdiction du Diméthoate dans toute l’UE sur les fruits et légumes » et « l’interdiction immédiate sur l’ensemble du territoire européen de mise sur le marché de cerises provenant de pays ou d’Etats membres dans lesquels l’utilisation du Diméthoate est permise. » S’il n’obtient pas satisfaction sous une semaine, il « déclenchera une clause de sauvegarde nationale pour interdire la commercialisation en France de cerises traitées au Diméthoate qu’elles soient produites en France ou ailleurs dans le monde. » Voir le communiqué du ministère de l’agriculture. La situation mérite quelques éclaircissements.

Drosphila suzukii, une petite mouche qui fait de gros dégâts. Et difficile à combattre.

Drosophila suzukii est une petite mouche qui pond ses œufs dans des fruits, en particulier (mais pas seulement) les cerises. Le ver de la mouche se nourrit de la cerise jusqu’au stade adulte. La cerise attaquée pourrit et cette pourriture s’étend rapidement aux cerises voisines. Résultat : un lot de cerises contenant même une faible proportion de cerises véreuses est impropre à la consommation. Sans compter les risques de conflit entre le producteur (ou sa coopérative) et le client, expéditeur ou magasin.

Dégâts de Drosophila suzukii sur cerises (source : l'Arboriculture Fruitière)

Dégâts de Drosophila suzukii sur cerises (source : l’Arboriculture Fruitière)

Malgré la recherche de solutions alternatives depuis plusieurs années, le Diméthoate, à ce jour, et quoiqu’en dise le ministère de l’agriculture, reste le seul insecticide réellement efficace.

La description des difficultés entraînées par Drosophila est bien décrite dans le communiqué de presse de la Confédération Paysanne.
Mais la solution préconisée laisse rêveur : filet contre les insectes préconisé par la Confédération Paysanne : « au moins 25 000 €/ha ». A comparer à moins de 100€/ha pour protéger les cerises des insectes. Sans compter que pour installer des filets contre les insectes, il faut revoir toute la conception des vergers, et condamner les petits vergers…
Cependant admettons que la protection par filet soit réalisable et que l’on arrive à « protéger » le marché français contre les importations. L’augmentation des prix (x2 au moins) serait telle qu’elle rendrait les cerises inaccessibles à la plupart des consommateurs. Les privant de la diversité en fruits et des bénéfices santé qui y sont liés.

Autre facteur à prendre en compte : Une protection insuffisante une année donnée et/ou un hiver clément (comme celui de 2015/2016) augmente le « réservoir » de mouches sur toute une zone et accroissent donc la menace. Si les conditions printanières le permettent, il est probable que 2016 verra une explosion des attaques de Drosophila suzukii.

La réglementation concernant le diméthoate

La situation réglementaire du Diméthoate s’est singulièrement assombrie lorsque, en 2009, sur avis de l’EFSA[1], l’UE a réduit la LMR sur cerise de 1 ppm (mg/kg) à 0.2 ppm. Cette nouvelle LMR[2] a été confirmée en 2015, tenant compte des données résidus et des marges de sécurité voulue par l’Union Européenne.
Ce sont les marges de sécurité exceptionnellement élevées dans l’UE qui sont la cause de cette baisse de LMR. Par exemple, sur la base des mêmes données expérimentales, le Canada, qu’on ne peut soupçonner de laxisme concernant la sécurité du consommateur, a confirmé en 2015, une LMR de 2 ppm.
Or l’application de Diméthoate, dans des conditions où il est efficace pour protéger les cerises de Drosophila suzukii, entraine une présence de résidus proche de la LMR, donc un risque faible, mais un risque non négligeable de dépassement de cette LMR : En France, en 2015, moins de 15 % des cerises dépassait légèrement les LMR.
Dans ces conditions, l’ANSES[3] a décidé en février 2016 de retirer l’autorisation du Diméthoate.
D’autres pays de l’UE, tels que l’Espagne, continuent cependant à autoriser le Diméthoate sur cerise.
Dans l’attente de solutions viables, malgré la non-autorisation par l’ANSES, le Ministère de l’Agriculture aurait la possibilité d’accorder une dérogation. Par choix politique, il ne l’a pas fait.

Les conséquences

Dans « Diméthoate : la Commission européenne est saisie », L’Arboriculture Fruitière résume, en termes mesurés, la situation agronomique, économique et réglementaire suite à la décision de Stéphane Le Foll.

La situation est aujourd’hui bien plus grave encore :
La clause de sauvegarde envisagée par S Le Foll promet d’être particulièrement difficile à appliquer. Quelle légalité peut avoir une clause interdisant l’importation nationale de cerises qui respecteraient les LMR définies par l’UE ? En admettant que ce soit le cas, comment la faire appliquer : une analyse par lot importé ? Quel contrôle ? A quel coût ?
– Si les attaques de Drosophila suzukii sont importantes, les conséquences pour les producteurs de cerises seront dans tous les cas très graves. Beaucoup d’entre eux seront contraints d’abandonner la production.
Les prix de la cerise pour le consommateur vont littéralement exploser. Seules les personnes les plus riches pourront s’en offrir le luxe. Alors que les avantages d’une alimentation riche et diversifiée en fruits et légumes est un facteur reconnu de santé publique.
Le risque résidu est purement hypothétique : Au pire des cas, le consommateur est exposé au maximum à 1/100° de la dose sans effet sur l’animal de laboratoire le plus sensible. Face à ce risque, les standards de sécurité sanitaire des aliments de l’UE sont extraordinairement et inutilement élevés. La LMR du Canada est 10 fois plus élevée que celle de l’UE.
Une même décision européenne concernant les LMR entraîne des prises de décision différentes d’un Etat Membre à un autre concernant les autorisations d’emploi.
– Paradoxalement, la France, se voulant une nouvelle fois le « bon élève » environnemental et sanitaire par rapport à l’Union Européenne, aggrave encore la situation économique de ses producteurs… et la situation sanitaire de ses consommateurs en réduisant la diversité de l’offre en fruits et légumes.

Désespérant.

Mises à jour du 04 avril 2016 :
Sous le titre « La production de cerises françaises en danger« , le Figaro apporte différents témoignages et fait le point des diverses positions sur le sujet.
Sous le titre « Diméthoate/Cerises : Une impasse pour la Coordination rurale« ,  la Coordination Rurale demande l’application de l’article 53 du réglement UE 1107/2009 qui prévoit la possibilité pour un Etat membre d’accorder une autorisation « pour un usage dès lors qu’il n’y a pas d’alternative et qu’il s’agit d’un enjeu fondamental pour la filière »
Pour aller plus loin :
« Cerise : l’incohérence absolue » (Végétable) » (Février 2016)
« Protéger les cerises contre Drosophila suzukii : pas simple ! » (juillet 2015)
[1] Agence européenne de sécurité des aliments

[2] Limité Maximale de Résidu

[3] Agence française de sécurité des aliments