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Adieu glyphosate ? Adieu l’Union Européenne ? Adieu la science ?

07 juin 2016

En l’absence d’une majorité qualifiée, c’est-à-dire suffisamment importante, des Etats Membres de l’UE, le comité permanent n’a pas réussi prolonger l’autorisation du glyphosate de 18 mois. Commentaires et perspectives.

Contexte

Le glyphosate, substance active du Roundup, fait la quasi-unanimité.
Opinion franchement hostile quasi-unanime chez les environnementalistes. Leurs arguments sont essentiellement politiques du fait d’une hostilité à la firme Monsanto, « symbole » de l’agriculture industrielle. Leur opinion a trouvé un point d’appui scientifique : Le rapport du CIRC[1], établi dans des circonstances discutables, et s’appuyant sur un nombre limité de sources, qui mentionne le glyphosate comme cancérigène probable sans s’intéresser aux doses réelles d’exposition. Mais c’est la seule.

Car le glyphosate fait la quasi-unanimité en sa faveur chez les scientifiques. Les évaluations complètes de l’EFSA et du JMPR (FAO + OMS)[2] sont claires : dans les conditions normales d’utilisation, le glyphosate est sûr. Voir ici et ici. Plus récemment encore, l’ECHA[3] a rendu un avis préalable confirmant que la classification du glyphosate comme cancérogène, mutagène, toxique pour le développement ou la reproduction ne se justifie pas.
De plus, le glyphosate est bon marché et est un outil agronomique et environnemental important, contribuant par exemple au Techniques Culturales Simplifiées (le « sans labour ») qui préservent la vie du sol.

Les péripéties réglementaires

Pour continuer à être utilisé dans l’UE, le glyphosate doit voir son autorisation renouvelée au plus tard fin juin 2016.
Techniquement, réglementairement, scientifiquement, RIEN ne s’oppose à ce renouvellement. L’évaluation de l’EFSA, qui considère le glyphosate comme étant sûr, s’appuie sur le travail de fond effectué par le BfR, agence de sécurité de l’Allemagne, Etat Membre rapporteur dans le cadre du processus de réévaluation. Dans un premier temps, la Commission Européenne a proposé un renouvellement de l’autorisation de 15 ans, durée conforme à la réglementation.

Mais, sous la pression environnementaliste, des parlementaires, puis des Etats Membres ont entravé le processus. Dans un premier temps, la Commission a proposé une réduction du renouvellement à 9 ans, qui semblait accepté. Puis, le 6 juin 2016, une simple prolongation provisoire de 18 mois. Le Comité Permanent qui réunit les autorités des Etats Membres n’a pas trouvé la majorité qualifiée nécessaire à une décision.

Il s’agit d’une décision « politique ». Des gouvernements, dont le gouvernement français, ont décidé de ne tenir aucun compte de l’évaluation scientifique de l’EFSA et de l’avis de la Commission Européenne qui se conforme à cette évaluation, et de s’abstenir de voter en faveur de la prolongation, empêchant ainsi son adoption formelle.

La situation est grave

Des médias, souvent liés au monde agricole mais pas seulement, ont bien pris la mesure de la gravité de la situation.

Dans un communiqué, le GTF (consortium d’entreprises commercialisant du glyphosate) « déplore l’extrême politisation du processus de renouvellement européen, censé être basé sur la science »

Dans « Roundup® : vers une interdiction au mépris de la science ? », dans La Tribune,  Gérard Kafadaroff, ingénieur agronome, ancien directeur chez Monsanto, soutient que « Une interdiction brutale du glyphosate est une illustration navrante d’un principe de précaution dévoyé. L’interdiction reste trop souvent une arme démagogique pour les décideurs qui veulent prouver une volonté politique cachant une incapacité à prendre des décisions étayées sur des faits et des bases scientifiques »

Dans « Pesticides : entre arguments scientifiques et considérations politiques », Y Delannoy fustige le comportement de « certaines personnalités ou groupes influents pouvant choisir d’ignorer les conclusions des institutions scientifiques les plus sérieuses au profit des considérations politiques. ». Il conclut « Certes, la science ne peut pas tout, et la recherche doit également être encadrée, mais « encadrée » ne veut pas dire « entravée », encore moins « mésestimée ». Nos hommes politiques doivent faire preuve de responsabilité et maturité intellectuelles et prendre en considération les préconisations des experts au moment de prendre leurs décisions. En clair, ils doivent s’efforcer de voir plus loin que le bout de leur nez et de celui de leur électorat. »

Comme s’ils se rendaient compte du désastre qu’ils sont en train de provoquer, les environnementalistes ont le triomphe plutôt modeste… Mais des élus environnementalistes demandent déjà l’interdiction en France du glyphosate, « au nom du principe de précaution ». Par exemple Aline Archimbaud, sénatrice écologiste « appelle la France à ne pas attendre l’UE » et à « interdire de manière unilatérale la vente du glyphosate ». Comme si elle se rendait compte de l’énormité du problème que cela poserait, elle ajoute : « Cette interdiction n’a pas de sens si on ne s’occupe pas des agriculteurs, si on ne les aide pas financièrement » et même « Il faut prévoir une période de transition pour les agriculteurs qui doivent changer de méthode de production, il faut du temps »

Ce qui est en jeu

Une interdiction européenne du glyphosate conduirait évidemment à une augmentation considérable des coûts de production. C’est un peu moins vrai pour les fruits et légumes, dont les coûts de production sont moins principalement tributaires du désherbage. Mais ce serait gravissime pour les grandes cultures.

Ce serait aussi une atteinte à l’agronomie et à l’environnement. Car les solutions alternatives, moins efficaces, sont d’autres herbicides plus toxiques et/ou la multiplication des labours et des binages (donc d’émission  de gaz à effet de serre…).

Plus encore, si le glyphosate est interdit, TOUS les autres pesticides, y compris ceux utilisé en bio devraient être interdits. Car le glyphosate est, comparativement, un produit particulièrement sûr. Ainsi que le souligne David Zaruk, The Risk Monger (in English), « Les agriculteurs doivent se réveiller et se rendre à l’évidence : plus aucun produit de protection des plantes (y compris ceux utilisés en bio) ne peut légitimement être autorisé dans l’UE. Le processus réglementaire est  brisé et travaille contre eux. Il contient une série de pièges et de chausse-trappes introduits par des activistes et des Verts lors de la révision de la vieille directive sur les pesticides (et le cauchemar sera pire encore avec l’examen des perturbateurs endocriniens potentiels). […] Il y a quelques années, dans un discours à l’industrie, j’avais prévenu que les faits et les données ne servent à rien dans un système brisé. Je suis désolé de constater que je n’étais pas loin de la vérité. »

Sur un plan plus général, les Etats Membres qui ont décidé d’ignorer les avis de l’EFSA et les recommandations de la Commission, qui ont décidé de suivre l’opinion facebook plutôt que les expertises, sont directement responsables de la faillite du processus réglementaire de l’UE. En sabotant ce processus, ils contribuent à la décrédibilisation de la réglementation de l’UE au niveau mondial. Ils contribuent à la renationalisation de toutes les décisions réglementaires. Ils contribuent à la dislocation de l’UE. Ils alimentent les courants populistes les plus vulgaires.

Devrons-nous dire non seulement adieu au glyphosate, mais aussi adieu à l’Union Européenne ? C’est ce qui est en train de se tramer. C’est ce que nos gouvernants peuvent encore éviter en voyant « plus loin que le bout de leur nez et de celui de leur électorat ».

Quelques références sur le glyphosate :

Sous le titre « Glyphosate : décryptage de l’ajournement de la décision », La Croix est un des rares médias grand public rendant compte du débat de façon équillibrée.

Dans « Glyphosate : autopsie d’un nouveau mensonge d’Etat », Wackes Seppi décrit dans le détail l’absurdité et l’inconséquence de la position de la France dans la discussion européenne sur le glyphosate.

Dans « Adieu glyphosate : pourquoi la science n’a pas d’importance à l’âge du stupide » (in English), David Zaruk, The Risk Monger, montre que le glyphosate est le cas typique du dysfonctionnement politique. Il conclut : « Adieu glyphosate ! Adieu les décisions basées sur la science ! Adieu la gouvernance crédible de l’UE »

Sur ForumPhyto :
« Pour sourire : la clé à cliquet (en fait le glyphosate mais chut!) nous tuera tous »
« Sauver le Glyphosate : Mission impossible ? »
« « L’utilité du glyphosate en dix raisons » (Seppi/Zaruk) »

Le Glyphosate, clé à cliquet de l'agriculteur...

Le Glyphosate, clé à cliquet de l’agriculteur…

[1] Centre International de Recherche sur le Cancer, instance de l’Organsiation Mondiale de la Santé

[2] EFSA : Agence Européenne de Sécurité Sanitaire. JMPR : agence d’évaluation conjointe de la FAO (organisation des Nations-Unies pour l’agriculture et l’alimentation) et de l’OMS (Organisation ondiqle de la Santé). Voir ici.

[3] Agence Européenne d’évaluation des produits chimiques