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Les abeilles sauvages sont-elles en train de disparaitre ?

25 août 2016

Une équipe de chercheurs britanniques a fait paraître dans Nature (revue scientifique réputée), une étude (in English) évaluant des liens statistiques entre l’utilisation des néonicotinoïdes et la diminution du nombre d’abeilles sauvages. Les médias et la sphère environnementaliste y voient une justification scientifique de toutes les craintes. Qu’en est-il ?

L’étude

L’étude s’appuie sur l’évolution des populations de 62 espèces d’hyménoptères sauvages sur 18 ans (1994-2011). L’évaluation des populations est basée sur des données établies par des centaines de naturalistes amateurs et rassemblées par le BWARS (société pour le dénombrement des abeilles, guêpes et fourmis).  Les néonicotinoïdes ont été introduits en 2002.

Il faut d’abord remarquer qu’il s’agit d’une étude purement statistique. Même en admettant que la corrélation soit avérée, cela ne dit rien de la causalité : « correlation is not causation ».
Un jeune scientifique américain s’est d’ailleurs fait un devoir de publier une corrélation par jour, très forte mais visiblement sans signification. Par exemple, on trouve une corrélation très forte entre l’âge de Miss America et un certain type de meurtres… Voir ici et ici sur ForumPhyto.
De plus, dans l’étude de Nature, les liens statistiques détectés sont relativement faibles.
Enfin les très nombreuses données collectées sont entachées d’imprécision et ont nécessité un traitement particulier avant le traitement statistique.
D’une certaine façon les auteurs reconnaissent eux-mêmes des limites à leur étude. Ainsi Nicholas Isaac, l’un des rédacteurs, écrit sur le site du NERC (in English) (Conseil National pour la Recherche Environnementale) au Royaume Uni : « Il y a de nombreuses raisons qui font qu’il faut prendre ces chiffres avec précaution. Premièrement, extrapoler à partir d’un modèle statistique implique de considérer que « toutes choses sont égales par ailleurs », ce qui a peu de chance d’être vrai dans la vraie vie. Plus important encore, il y a une énorme incertitude dans tous les chiffres [de l’étude] […], mais il n’y aucune place pour ce genre de nuance dans les grands médias. En réfléchissant à cela, je pense que la vieille expression de « l’arbre qui cache la forêt » offre une analogie valide. Les analyses de notre article décrivent des motifs généraux à propos de l’impact des néonicotinoïdes (la « forêt ») de façon la plus robuste et la plus complète possible. Les non-scientifiques, y compris les médias, les ONG et les responsables politiques, veulent des faits précis qui font les gros titres. Ils ont donc tendance à se focaliser sur des détails concernant des espèces individuelles (« l’arbre » de l’analogie). »
Le moins qu’on puisse dire est qu’une telle étude présente a priori un grand intérêt. Mais comme toute étude scientifique, elle doit être examiné dans le détail afin de comprendre ses résultats, et de les valider, ou non.

Le traitement médiatique

En général, les médias ne se sont pas embarrassés de la prudence nécessaire.
Le Monde titre ainsi « Les pesticides triplent la mortalité des abeilles sauvages ». Tout en avouant que les chercheurs n’ont pas réussi à « établir un lien irréfutable de cause à effet », Le Monde minimise toutes les limites de l’étude, et élargit de plus, sans aucune précaution, la responsabilité à l’ensemble des pesticides…

La plupart des titres et bien sûr l’ensemble des ONG environnementalistes affichent tous cette « multiplication par trois de la mortalité des abeilles sauvages », et généralement sans précaution, ni avis contradictoire. Et replacent fort opportunément cette dans la perspective du prochain examen par l’UE des conséquences de l’interdiction.
L’article d’Euractiv (in English) fait de même, en donnant cependant brièvement la position de l’ECPA (firmes phyto), au demeurant fort prudente.

L’analyse de Seppi

Seul l’article de Seppi, titré « Mortalité des abeilles sauvages et néonicotinoïdes : vite, instrumentalisons l’étude ! », fait une analyse distanciée et détaillée.
Tout en reconnaissant l’intérêt d’une telle étude, Seppi relève fort justement que :
– D’une part le timing et le commentaire même de Nature (« des insecticides controversés liés au déclin d’abeilles sauvages – les preuves contre les néonicotinoïdes s’accumulent avant le réexamen par l’UE ») montrent qu’on est « manifestement dans le registre du lobbying. » Il s’agit de faire pression au bon moment…
– D’autre part « cet article [de Nature] – une analyse statistique complexe reposant sur des hypothèses et des simplifications sujettes à questionnement, et ne livrant pas de nombreuses données – ne démontre pas ce qui est affirmé » : langage obscur, imprécisions qui s’accumulent, interférences probables avec d’autres données non prises en compte, corrélation qui n’est pas causalité, corrélations variables selon les espèces, etc.

Pour Seppi, les conclusions catastrophistes de l’étude sont, « en grande partie, des affirmations très osées, et nous pensons qu’elles ne sont pas étayées par l’étude. « …nos résultats suggèrent… », c’est la manière typique d’instrumentaliser à des fins politiques des résultats de recherche, certes intéressants dans le cas présent, mais au final peu convaincants. »

En conclusion, Seppi cite à plusieurs reprises Ben Woodcock, un des auteurs de l’étude, qui, par exemple dans La Tribune, « insiste toutefois sur l’aspect multi-factoriel du déclin des pollinisateurs : si l’utilisation des néonicotinoides est « un facteur majeur » de ce déclin, le scientifique rappelle qu’il est aussi dû à la perte d’habitat, à des agents pathogènes, au changement climatique et à d’autres insecticides. »
Bref l’étude parue dans Nature est intéressante, mais ses résultats ne peuvent pas être considérés comme fermement établis et le bruit médiatique fait autour est injustifié. Sauf dans une perspective éhontée de lobbying environnementaliste.
Nous encourageons vivement nos lecteurs intéressés à lire l’intégralité de l’article de Seppi.

Nous reviendrons sur l’étude de Nature avec une analyse circonstanciée dans les prochaines semaines.

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