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La durabilité des circuits courts en question (suite)

09 sept. 2016

Ardoise Suite à notre article précédent, des lecteurs nous ont indiqués d’autres sources analysant de façon plus ou moins critique la pertinence des circuits courts.

Une analyse assez complète, mais minimisant les inconvénients

Sous le titre « Les circuits courts sont-ils vraiment la solution à la crise agricole ? », Wikiagri donne de nombreux liens et établit une liste assez complète des différents arguments. Il montre tout d’abord la diversité des circuits courts : vente à la ferme, magasin de producteurs, AMAP, ventes sur les marchés (classiques ou fermiers), rôle d’Inernet, etc.

Il classe ensuite les différentes positions :
Une vision militante ou idéologique, qui fait des circuits courts le moyen de « sortir du modèle agricole » actuel « agro-industriel » et « à bout de souffle ».
Une approche pragmatique pour qui les circuits courts sont une opportunité économique et de rapprochement entre le producteur et le consommateur.
– Le Ministère de l’Agriculture voit d’autres avantages : maintien d’une agriculture périurbaine, promotion de pratiques favorables à l’environnement, renforcement du lien des consommateurs au territoire.
– Les circuits courts ne sont pas la solution principale à la crise agricole. D’une part, ils ne représenteraient que 6 % des achats alimentaires, constituant une « niche destinée à une clientèle souvent aisée ». Même s’ils progressent, ils resteront une niche. D’autre part, « il n’existe pas de dichotomie stricte entre agriculteurs en circuits courts et agriculteurs en circuits longs. »
– Une remise en cause de « certaines idées toutes faites relatives aux circuits courts ». Par exemple, pour le CGAAER[1], les circuits courts « ne sont pas une garantie automatique de qualité » et les « « circuits longs » sont indispensables et injustement critiqués ». Ou encore, pour le CGDD[2], « l’impact environnemental dépend plus du mode de production que de transport »

Globalement, l’article de Wikiagri détaille plus et mieux les arguments favorables aux circuits courts.

Des critiques plus radicales

Dans notre article précédent, nous avons mentionné la surestimation des avantages développée par l’IAU.

Philippe Silberzahn, professeur d’entrepreneuriat et chercheur à l’Ecole Polytechnique de Paris, va plus loin et montre « Le vrai danger du « consommer local » ». Tant que la préférence locale n’est pas généralisée, c’est tout bénéfice pour le producteur local qui voit son marché s’élargir : en plus de ses marchés relativement lointains, il bénéficie d’un marché proche nouveau. Mais, si la préférence locale se généralise, alors d’autres marchés se ferment. Développant un exemple fictif autour de la pomme, il écrit : « A l’extrême, chaque ville a son producteur de pommes, solidement soutenu localement, mais minuscule et incapable de grandir car les autres marchés « locaux » leur sont fermés. Au lieu d’avoir quelques gros producteurs économiquement efficaces, ce qui permet d’abaisser le prix des pommes pour le consommateur final, on se retrouve avec une myriade de tout petits producteurs, dont beaucoup ne sont pas viables tout simplement parce qu’ils n’ont pas la taille critique nécessaire, sauf s’ils augmentent leurs prix. L’augmentation des prix, qui est un moyen de sous-traiter la conséquence de son inefficacité, pénalise bien-sûr le consommateur. Celui-ci risque alors de diminuer sa consommation de pomme en se tournant vers d’autres fruits. »

Globalement, c’est la remise en cause des bienfaits de la division du travail. Bienfaits économiques pour toute la société, mais aussi bienfaits environnementaux.
Lire l’intégralité de l’article de Philippe Silberzahn.

Sous le titre « La mode du « consommer local », potentiellement dangereuse », le Vif.be a repris et résumé l’article de Philippe Silberzahn en l’adaptant à la Belgique.

L’Institut économique Molinari (IEM), d’inspiration libérale, dans « Comment les hydrocarbures ont terrassé le troisième cavalier – Transports modernes et sécurité alimentaire », part d’une description quasi-autobiographique et historique pour montrer comment les transports réduisent radicalement les risques de famine (le troisième cavalier de l’Apocalypse de l’apôtre Jean). « Canicule ou froidure intempestive, précipitations excessives ou insuffisantes, inondations, insectes ravageurs, rongeurs, parasites, dégradation des sols ou épidémies : bien avant qu’on ait songé à accuser l’humanité de perturber le climat mondial en brûlant des hydrocarbures, il semblerait que le troisième cavalier (à savoir la famine) soit régulièrement venu hanter nos villes et nos villages. »

Conclusion de l’IEM : « La diversification de nos ressources alimentaires grâce à des réseaux denses et étendus de transports, utilisant le pétrole comme carburant, constitue l’un des grands miracles oubliés du monde moderne. […] Les militants de la croisade anti-pétrole aimeraient que nous renoncions aux flux commerciaux de longue distance et à la sécurité alimentaire inhérente au recours à de multiples fournisseurs d’origines géographiques très diverses. Or, loin d’éloigner de nous le spectre du troisième cavalier, leur obsession anti-carbone le ramènera à nos portes, plus terrible que jamais. »

Notre conclusion

Les circuits courts peuvent être une opportunité pour des agriculteurs dans certaines régions, certaines productions, et certaines situations. Ils peuvent être une solution individuelle, du moins en partie, sous certaines conditions. Mais ils resteront un marché de niche.
Privilégier politiquement les circuits courts et les considérer comme la solution économique par excellence pour les agriculteurs est une dangereuse illusion.

[1] Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux

[2] Commissariat général au développement durable