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Le bio pourrait nourrir le monde à 100%… MAIS !

08 déc. 2017

En septembre 2017, le journal Nature Communications (de l’éditeur publiant le très renommé Nature) laissait paraître un article de la FiBL (un organisme de recherche visant à défendre le bio) et présentant les résultats d’une étude sur la faisabilité d’une agriculture bio à l’horizon 2050 : « Stratégies pour nourrir le monde de façon plus durable avec le bio » (in English).

Sur la base de cette étude, des militants pro-bio ont fanfaronné (avec souvent une certaine mesure), comme Reporterre sous le titre : « Une étude scientifique montre que l’agriculture bio pourrait nourrir le monde à 100 % ». Est-ce si positif que ce que ce titre le laisse entendre à tous les internautes qui s’y arrêteront ?

La FiBL, elle, s’est permise de titrer son communiquer de presse : « Une nouvelle étude prouve que le bio peut fortement contribuer à nourrir le monde ». Peut-on réellement parler de « forte contribution » ? Ou s’agit-il d’un impressionnant arrangement avec les faits pour servir une cause choisie a priori ?

Que dit vraiment l’article de Nature Communications ?

Sacrifier un mieux pour une idéologie

Le postulat de départ, justifiant la publication, est sans appel : les rendements en bio sont nettement inférieurs aux rendements conventionnels, et donc à production constante, plus la proportion de bio est élevée, plus la surface agricole nécessaire est grande. Par conséquent en ne changeant rien, à l’horizon 2050, il sera nettement plus compliqué de nourrir la planète avec la surface disponible si l’on veut en plus le faire avec du bio.

Le tour de force de cette publication, c’est donc de réussir à mettre l’accent sur le fait que l’on peut faire du bio, au moins en partie, en compensant ce défaut par une réduction du gâchis et d’élevage. Le côté « moui c’est pas top mais on peut en compensant ailleurs » est d’ailleurs très explicite dans l’article :

« Nous déterminons ensuite si et dans quelle mesure combiner l’agriculture biologique avec les deux stratégies mentionnées ci-dessous [réduction du gâchis et de la production de viande] permet de mitiger les potentiels effets négatifs d’une conversion à l’agriculture bio. »

« Une conversion partielle à la production bio […], et dans certains cas une conversion totale […], devient viable. » (« Viable » ! Pas « meilleur » ni « bon » : « viable » !)

Mais quel raisonnement de fous ! Quel gâchis d’intérêts que de vouloir utiliser des réductions par ailleurs pour « compenser » l’utilisation de pratiques sous-optimales ! En effet, ces réductions de gâchis et d’élevage peuvent bien sûr autant être faites en continuant le conventionnel. Alors, plutôt que de tenter de faire rentrer la surface agricole nécessaire dans la surface disponible, on peut simplement aller plus loin et réduire la surface agricole par rapport à ce que l’on a aujourd’hui.

D’un point de vue environnement et biodiversité, cesser de cultiver des terres, c’est pas mal non plus !

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Vient ensuite la caricature : les surplus d’azote !

Dans l’étude, on reproche au conventionnel des surplus d’azote. Mais là, ça découle d’un classique chez la FiBL : prendre comme « agriculture conventionnelle » une agriculture conventionnelle moyenne effectivement critiquable et devant être améliorée, et ne pas envisager une agriculture conventionnelle raisonnée et plus agro-écologique telle que déjà pratiquée par certains.

En pratique aujourd’hui, on peut mesurer les taux d’azote dans les sols afin de calculer la bonne quantité d’azote à ajouter. C’est notamment expliqué sur Youtube par l’agriculteur du Loiret Gilles vk.

Ainsi, quand le bio, selon l’article, peut peiner à avoir suffisamment d’azote, une agriculture conventionnelle précautionneuse peut, elle, atteindre un équilibre sans trop de soucis.

Puis, c’est le tour du mensonge : zéro pesticides en bio.

La Figure 5 de la publication nous permet de comparer les paramètres associés à divers scénarios bios et conventionnels. Et là, surprise : 0 pour les pesticides en bio ?!

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Ah c’est sûr, c’est facile de mettre en avant le bio si on oublie les intrants qu’il utilise !

Pour ceux qui auraient loupé l’information, le bio utilise des pesticides. Il n’utilise pas d’herbicides et pas de pesticides de synthèse, mais il utilise néanmoins des pesticides (« naturels »). Certains pourront éventuellement arguer que oui mais on pourrait envisager un bio sans pesticides… ce à quoi je répondrais que pour un tel scénario les chiffres de rendements utilisés dans la publication ne seraient plus utilisables.

Remarquez que pour les autres sur la Figure 5 (excepté l’azote dont on a déjà parlé), le bio ne s’en sort pas spécialement mieux, au contraire.

Et tout du long : l’erreur ?

La publication repose intégralement sur un postulat crucial et pourtant fort douteux : tout est calculé avec un défaut de rendement constant pour le bio par rapport au conventionnel. Or il est fort probable que le bio profite de la baisse de la pression des ravageurs liée aux champs voisins qui eux traitent, et donc réduisent les quantités globales de ravageurs. (Néanmoins, du fait de l’impact des traitements sur, aussi, les auxiliaires de culture, la question paraît relativement complexe. Mais elle est en tout cas apparemment pas abordée par les auteurs.)

Conclusion

Nous avons donc une publication qui exploite un homme de paille[1] ou une fausse dichotomie[2] selon le point de vue (oubliant totalement l’agriculture conventionnelle raisonnée), repose sur un calcul fort douteux (constance du défaut de rendement), et pourtant parvient à montrer que le tout bio semble une idée plutôt mauvaise ; mais sauve les meubles avec des améliorations pour compenser qui pourraient très bien juste améliorer encore plus un mode de production efficace mais réfléchi.

Bunker D[3]

[1] Un « homme de paille » consiste à caricaturer un propos ou une situation afin de plus aisément argumenter contre. (cf article Wikipédia).

[2] « Le faux dilemme, appelé aussi exclusion du tiers, fausse dichotomie ou énumération incomplète, est un raisonnement fallacieux qui consiste à présenter deux solutions à un problème donné comme si elles étaient les deux seules possibles, alors qu’en réalité il en existe d’autres. » (Wikipédia)

[3] Bunker D est bloggeur sceptique (blog, Facebook, Twitter).