A la Une, Divers, Veille sociétale

« Monsanto est-il le diable ? »

27 mai 2015

Le 23 mai 2015, des milliers de manifestants défilaient en France et dans le monde, principalement « contre Monsanto » (voir ici). Quels sont les arguments conduisant à l’hostilité montante du public envers cette firme ? Quelle est leur validité ? Sont-ils le signe d’un problème plus général ?

Le flot des accusations

Les principales accusations portées contre Monsanto portent sur : ses origines, l’invention de l’agent Orange tristement célèbre pendant la guerre du Vietnam, le gène Terminator (voir ici), l’omniprésence du Roundup (à base de glyphosate), la mainmise sur l’agriculture et l’alimentation mondiale(voir ici), la poursuite en justice de producteurs dans leurs droits (voir ici), le suicide des paysans en Inde (voir ici), la mort des abeilles, la fin de l’agriculture paysanne, etc.
Mais cela va souvent beaucoup plus loin. Monsanto est bien assimilé au diable en personne, souvent très « sérieusement », si l’on peut dire. Voir par exemple « Comprendre Monsanto dans une vidéo de 3mn. Si tu n’aimes pas Monsanto alors partage !!! » (vidéo co-produite par France Télévisions !) ou « L’histoire complète de Monsanto, « La société la plus maléfique au monde » » (Santé-Nutrition)
Même des chanteurs s’y mettent. Neil Young s’apprête à lancer un album intitulé « Monsanto Years » [Voir le clip de « A Rock Star Bucks a Coffee Shop« , chanson anti-Monsanto/Starbucks de Neil Young, mise à  jour du 02 juin 2015].
Le rappeur français Kolibri met en ligne un clip militant (version française, English version) au look lourdement démoniaque.

1505KolibriMonsantoUne partie du public en vient à donc à se rendre aux manifestations organisées « contre Monsanto ».

Les faits

Toutes ces accusations ont en commun d’être un savant mélange de vrai et de faux, de faits et de fantasmes, de vraisemblable et de pure fiction. Mais le flot est tel qu’y voir clair est une tâche quasi-impossible. La répétition en très grandes quantités de suppositions et de mensonges finit par passer pour une preuve de vérité.

Monsanto a fini par prendre ces attaques au sérieux et y répond sur son site sur une base que l’on peut estimer réellement factuelle, quel que soit le jugement que l’on porte par ailleurs sur l’entreprise Monsanto et sur la forme de ces réponses. Voir ici et ici (en français) et ici et ici (in English)
Par exemple, Monsanto explique clairement qu’ils ne sont pas l’inventeur de l’agent Orange. Mais que « Le gouvernement américain a ordonné à Monsanto, ainsi qu’à neuf autres sociétés, de produire de l’agent orange destiné à une utilisation militaire par les États-Unis pendant la guerre du Vietnam. L’ex-Monsanto Co. a cessé d’en produire en 1969, il y a plus de 40 ans. »

Dénoncer la mécanique de la diabolisation

Mais les réponses factuelles sont loin d’être suffisantes, surtout si elles viennent du diable en personne…
Des scientifiques, des agriculteurs, des bloggeurs, et des médias, n’ayant le plus souvent aucun lien avec Monsanto, commencent à répondre sur un terrain plus général.
Franklin Veaux, un bloggeur US, a publié un article sarcastique (in English) sur la taille de Monsanto : « Exxon Mobile a un chiffre d’affaires 26 fois supérieur à celui de Monsanto, et aussi de plus gros profits. Ensemble les 5 compagnies pétrolières les plus grandes ont un revenu brut de 1300 milliards de $, 87 fois plus important que celui de Monsanto. Et pourtant, ils ne peuvent encore pas acheter les scientifiques du monde pour faire taire la question climatique ». Monsanto n’est certes pas une PME, mais les théories conspirationnistes sur sa mainmise sur le monde ne tiennent pas debout.

1505size-of-monsanto

Sur Quora, un site de blogs collaboratifs, dans un autre article répondant à la question « Monsanto est-il le diable ? » (in English, traduction en français par Cédric Limousin ), Dan Holliday, analyse en quoi les attaques centrées sur Monsanto relèvent en fait d’un besoin de construire des mythes, de façon quasi-religieuse. Il s’agit d’un phénomène psychologique commun à tous les humains : « une fois que l’on épouse un idéal, une cause ou quoi que ce soit, nous devenons totalement incapables de critiques rationnelles : on se détache de la réalité et nos émotions nous retirent objectivité et honnêteté intellectuelle. Nous percevons les attaques contre une idée comme une attaque contre nous-même et pour les contrer nous utilisons des biais intellectuels » : appel à la peur, biais de confirmation, preuve anecdotique, argument de l’homme de paille, faux dilemme, etc.
Au contraire, nous dit-il, « comme les faits concrets – et vérifiables – le montrent, Monsanto n’est qu’une entreprise qui comporte de bons et de mauvais aspects (et ils font des choses que je désapprouve aussi) mais Monsanto n’est pas pire que Google, Facebook, Uniroyal ou Total. »

Sous le titre provocateur « I love Monsanto », le video-bloggeur Cult of Dusty s’attaque au mythe « Monsanto est le diable » sur le mode amusant du gars énervé, mais avec des arguments factuels de fond. Cette vidéo est à recommander à tout lecteur susceptible de comprendre l’anglais (version US). Pour les allergiques à la langue des cowboys, il y a possibilité de sous-titres en français (mais la traduction, automatique, est vraiment insuffisante) et les illustrations de sa vidéo apportent quelques informations.

1505CultOfDustyILoveMonsanto

Plus fondamentalement, Tyler Cowen, économiste, dans une conférence de la série TED (in English, même possibilité de sous-titres automatiques, mais l’anglais est plus compréhensible) montre à quel point, en tant qu’humains, nous devons nous méfier des histoires simples, des histoires de complot,… Le monde est complexe. Se raconter des histoires est généralement trompeur.

Conclusion

La force des manifestants contre Monsanto, c’est qu’ils racontent, et qu’ils se racontent, une « histoire », une conspiration, « le bien contre le mal »… Une histoire emblématique où il y a d’un côté des gentils petits paysans, des gentils citoyens et de l’autre de méchantes firmes, internationales, qui complotent pour dominer le monde, et des agriculteurs modernistes et productivistes qui sont leurs valets. C’est une histoire simple et forte. Mais c’est aussi leur faiblesse. Car c’est une histoire fausse.

Les agriculteurs n’ont aucun intérêt particulier à défendre Monsanto. Mais les agriculteurs ont tout intérêt à défendre une agriculture moderne et une agronomie s’appuyant sur les connaissances scientifiques, seules capables de produire plus avec moins, et avec moins d’impact sur l’environnement.

La diabolisation de Monsanto est dangereuse car elle est de fait généralisée à l’ensemble de l’agriculture moderne. Cette diabolisation mène à une impasse et à une régression économique, agricole, environnementale, humaine et intellectuelle. C’est bien une bataille de civilisation qui s’amorce.