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Cash Investigation s’embourbe dans ses mensonges

16 févr. 2016

Intox Nous avions signalé, dès le lendemain de l’émission, une des plus grosses bourdes du Cash Investigation sur les pesticides : le bobard des 97% d’aliments portant des résidus de pesticides, une interprétation fallacieuse d’une phrase de l’EFSA [1], répétée plusieurs fois pendant l’émission. En fait, la fin de la phrase de l’EFSA disait que 54 ,6% des échantillons n’avaient aucun résidu de pesticide. Pourtant, ce « scoop » avait été confirmé par écrit dans les chats suivant l’émission, où Martin Boudot, l’acolyte d’Elise Lucet, confirmait bien qu’il n’y avait que 3% d’aliments sans pesticides, et précisait qu’il s’agissait bien sûr des produits bios. Jusque là, ce cafouillage avait un côté rassurant : c’était tellement énorme qu’il laissait penser que Cash Investigation n’avait pas menti délibérément aux spectateurs, mais avait lu de travers le rapport de l’EFSA. Malheureusement, il a fallu déchanter assez vite.

Même Libé lâche Elise Lucet !

Cette fois, l’erreur était tellement énorme, que nombre de médias ont repris cette information, même dans des journaux peu suspects d’anti-écologisme primaire. En particulier, Libé s’est fendu d’un texte ironique dans sa rubrique Désintox (un titre de circonstance…), sous le titre peu flatteur : « Pesticides : le chiffre bidon de Clash Investigation » [2]. Venant d’un journal ayant le même cœur de cible qu’Elise Lucet, le coup était grave. Cash Investigation y a donc répondu rapidement… et, cette fois, il n’y a plus aucune illusion à se faire sur sa bonne foi. En effet, plutôt que de reconnaître son erreur (si on est gentil), ou sa manipulation (si on est objectif), Cash persiste et signe, avec un argument inattendu. Ici, un copier/coller de leur réponse s’impose.
D’après Elise Lucet et ses collégues :

« ce que Libé Désintox appelle sans nuance « le chiffre bidon de Cash Investigation » provient d’un rapport de l’EFSA, l’Agence européenne de sécurité des aliments (à lire ici). Revenons donc sur ce fameux chiffre : « Plus de 97 % des aliments contiennent des résidus de pesticides dans les limites légales« . Vous en conviendrez, le titre de l’EFSA est très clair. Mais comme vous, nous avons été interloqués par la phrase  suivante : « 54,6% of the samples contained no quantifiable residues ». Cette phrase est très importante : elle évoque 54,6% de résidus non-quantifiés et non pas 54,6 % de résidus non-détectés. Le seuil de LOQ (Limit of Quantification) est en effet 10 à 20 fois supérieur au seuil de LOD (Limit of Detection).
Pour nous assurer de ce chiffre, nous avons contacté l’une de nos sources à l’EFSA pour comprendre. Elle nous a confirmé que ces 54,6% correspondaient bien à des échantillons avec des résidus dont les niveaux de pesticides étaient en-dessous des limites de quantification mais pas en-dessous des limites de détection. C’est une différence majeure. En d’autres termes, sous cette limite de quantification, on ne peut pas conclure à l’absence de pesticides. On pourrait même dire qu’il y en a, qu’on les a détectés mais qu’on ne sait pas les quantifier précisément pour les relier à des molécules chimiques. »

Notons d’abord que, même si c’était vrai, cela ne voudrait pas dire que les 54,6% cités contiennent portent tous des résidus. Là encore, il y aurait parmi eux une certaine proportion d’échantillons ne portant réellement aucun résidu.
Mais ce n’est pas le plus gênant. En effet, le site de l’EFSA, que Cash Investigation avait montré à l’écran, est très clair : il dit bien : «  54.6% were free of detectable residues”[3], et non “quantifiable residues” comme le prétend Cash Investigation. Pourtant, Cash est sûr de son coup, puisqu’ « une de ses sources à l’EFSA » lui a confirmé qu’il s’agissait bien en fait des résidus « quantifiables ». Dommage qu’on ne connaisse pas le nom de cette source, mais il est vrai que la citer l’exposerait sans doute aux tueurs à gages de l’agrochimie.

Le lapsus providentiel de l’EFSA

Mais, après tout, cette page du site de l’EFSA ne fait que citer son rapport de 2013 sur les recherches de résidus. C’est d’ailleurs à ce rapport que renvoie directement le lien contenu dans la réponse de Cash Investigation à Libé. Peut-être y a–t-il eu une erreur de transcription sur le site Web ? Pour en avoir le cœur net, téléchargeons le fameux rapport[4]. Et là, coup de théâtre : l’abstract en 1ere page dit bien : « 54.6 % of the samples contained no quantifiable residues at all » ! Allons-nous enfin battre notre coulpe, et reconnaître que les limiers de Cash Investigation ont déniché une arnaque de l’EFSA sur son site Web ? Pour en avoir le cœur net, consultons la suite du rapport : dès la page 2, on retrouve bien que les 54,6 % correspondent aux échantillons sans résidus DETECTABLES. Vérifions ensuite quelles données figurent dans les résultats détaillés par produit : à chaque fois, il s’agit bien des résidus détectables (136 occurrences du mot dans le rapport), et non quantifiables (5 occurrences).

Nous avons nous-même interrogé l’EFSA sur la présence de ces deux expressions dans le rapport. La réponse de l’EFSA a été la suivante :

« La limite de détection (LOD) n’est pas systématiquement rapportée par tous les Etats Membres. L’EFSA ne peut donc pas quantifier le nombre d’échantillons en dessous de la LOD. […]  Dans la plupart des cas, un résultat « en dessous de la LOQ » signifie aussi « en dessous de la LOD ».

Ce sont les différences entre les sources des différents Etats Membres qui empêchent l’EFSA d’être certaine que tous les échantillons en dessous de la LOQ (quantification) sont en dessous de la LOD (Détection). Mais cela ne signifie aucunement que les échantillons ne seraient « pas en-dessous des limites de détection ». Au contraire, ils sont, « dans la plupart des cas […] aussi « en dessous de la LOD » »

Il est maintenant clair que Cash Investigation s’est emparée, après coup, de cette ambiguïté providentielle du rapport de l’EFSA, pour se raccrocher aux branches et semer le doute.

A propos de doute, les lanceurs d’alerte de Cash Investigation déplorent que cette polémique, sur une affirmation unique, détourne l’attention des deux heures de son reportage. Qu’ils se rassurent : nous avons déjà commencé à parler d’autres affirmations de leur émission, tout aussi réjouissantes(ici [5], ici[6],et ici[7]), et nous n’en avons pas encore fini…

[1] (http://www.forumphyto.fr/2016/02/03/cash-investigation-suite-levangile-selon-sainte-lucet/ )

[2] http://www.liberation.fr/desintox/2016/02/11/pesticides-le-chiffre-bidon-de-cash-investigation_1432447

[3] http://www.efsa.europa.eu/en/press/news/150312

[4] http://www.efsa.europa.eu/sites/default/files/efsa_rep/blobserver_assets/pesticidesreport2013.pdf

[5] http://www.forumphyto.fr/2016/02/05/cash-investigation-sur-les-pesticides-suite-des-reactions/

[6] http://www.forumphyto.fr/2016/02/09/quelques-tres-gros-mensonges-de-cash-investigation/

[7] http://www.forumphyto.fr/2016/02/12/insecticides-et-autisme-le-tri-tres-selectif-de-clash-investigation/